Assemblée Nationale - 7 décembre 2009 - Intervention de Madame Chantal Berthelot

Assemblée nationale

Séance du lundi 7 décembre 2009

Déclaration du Gouvernement sur la consultation des électeurs de Guyane et de la Martinique et débat sur cette déclaration

 

Madame Chantal Berthelot, député de la Guyane

Comment imaginer, mes chers collègues, qu’un territoire français situé en Amérique du Sud, d’une surface de plus de 84 000 kilomètres carrés, grand comme le Portugal, puisse être appréhendé dans toute sa mesure et administré depuis Paris comme n’importe quel territoire de l’Hexagone ?

Au terme de soixante ans de départementalisation et de vingt-sept ans de décentralisation, la Guyane souffre de ce que j’appellerai un « non-développement » plutôt qu’un « mal-développement ». Son économie est fortement dépendante des transferts publics. Sa balance commerciale est très déficitaire. Toutes les statistiques montrent le recul du niveau de vie et l’amplification des inégalités sociales, économiques et territoriales. La croissance ne suffit pas, loin s’en faut, pour couvrir les besoins nés de la dynamique démographique.

Le constat de ses écarts phénoménaux avec l’Hexagone mais aussi avec les autres DOM est bien connu et nul ne le conteste.

Si la Guyane a pu atteindre la pleine égalité dans le domaine des prestations sociales, cette égalité demeure purement théorique quand il s’agit de l’accès au logement, à la santé, à l’éducation, à la sécurité, à la protection de l’environnement, et j’en passe.

Prenons l’exemple de l’éducation, qui souffre de problèmes plus que graves en Guyane : 3 500 enfants ne sont pas scolarisés ; seuls 11 % des élèves de CM2 ont des acquis sûrs ; 20 % des jeunes Guyanais sortent du système sans aucune qualification. Ces chiffres trouvent-ils un écho dans vos têtes ?

Pour ce qui est des logements, il en manque plus de 14 000 ; l’insalubrité progresse, tandis que les approvisionnements en eau et électricité sont insatisfaisants, voire inexistants.

C’est dans ce contexte, mes chers collègues, qu’il faut placer le débat sur l’évolution statutaire, car ce débat n’est pas théorique mais concret. Il s’agit pour nous, Guyanais, de rechercher le cadre institutionnel qui offre les meilleures chances de sortir de cette impasse. Car si telle est la situation aujourd’hui, qu’en sera-t-il en 2030 lorsque la population aura doublé pour atteindre plus de 400 000 personnes, dont 43 % auront moins de vingt ans ?

C’est sur cette perspective que nous devons bâtir notre réflexion, notre vision, mais surtout notre action.

Quelle Guyane souhaitons-nous pour 2030 ? Pour moi comme pour beaucoup d’autres, la réponse est claire : un pays résolument engagé sur la voie d’un développement durable endogène, créateur de richesses partagées. Le chemin sera long, encore faut-il que l’on s’y engage. Désormais, il est de plus en plus question au niveau planétaire d’adopter la stratégie de la croissance verte. Dans le cadre de l’ONU, des études sont menées pour attribuer une valeur financière à la biodiversité. La forêt est l’un des enjeux de la conférence de Copenhague, qui s’est ouverte aujourd’hui et le vaste potentiel de notre territoire en ce domaine – la forêt amazonienne couvre 90% de sa superficie – ne saurait être sous-estimé.

Pour moi comme pour beaucoup d’autres, ce développement s’inscrit dans un projet de société, dont les fondements ont été posés lors du congrès du 2 septembre 2009. Il devra avoir comme finalité le bien-être de la population, l’épanouissement individuel et collectif, le renforcement de la cohésion sociale sur la base des valeurs de solidarité, de convivialité, de tolérance et de métissage culturel, fondements de l’identité guyanaise.

Cette ambition implique bien sûr que nous soyons des acteurs responsables du devenir de notre territoire. Il s’agit d’obtenir plus de responsabilités locales dans la prise de décision, plus d’engagements de la part de forces professionnelles, associatives, civiques et politiques plus soucieuses de leurs devoirs.

Il s’agit également de modifier notre relation avec l’État au profit d’un meilleur partage des compétences et des moyens et d’un partenariat fort fondé sur le respect mutuel dans le but, mes chers collègues, de promouvoir les intérêts propres de la Guyane et d’explorer sans retenue le champ des possibles.

Pour ma part, je souhaite un transfert de compétences progressif qui tienne compte de cette stratégie de développement. Les transferts prioritaires devront concerner le secteur de l’éducation, base de l’émancipation des hommes, et l’accès aux ressources naturelles terrestres et marines, notamment la maîtrise du foncier. Lors de la discussion sur la loi organique qui interviendra en cas de vote positif le 10 janvier, je veillerai bien évidemment au respect du degré de spécialité législative que nous souhaitons établir dans les secteurs transférés et au maintien de l’identité législative dans les domaines dits sanctuarisés.

Le choix d’une nouvelle collectivité territoriale dans le cadre de l’article 74 nous offre une plus grande souplesse, une possibilité accrue d’innovation et de plus amples marges de manœuvre dans nos responsabilités et la maîtrise de notre devenir. Il permet de sortir des contraintes de l’article 73, où la durée des habilitations, accordées également par la loi organique, est forcément limitée dans le temps. L’article 74 offre une visibilité sur le long terme, condition indispensable pour une stratégie de développement qui s’inscrit dans un vrai projet de société pour la Guyane à l’horizon de 2030.

Madame la ministre, mes chers collègues, sachez que je ne sous-estime ni les difficultés qui sont devant nous, ni l’ampleur du défi qu’il s’agira de relever, ni les peurs qu’engendre tout changement. Mais j’ai la ferme conviction que nos atouts humains et naturels nous autorisent à emprunter cette voie avec réalisme et confiance en nous-mêmes.