Toutes les vérités sont bonnes à dire - Yves BONNET - 29 janvier 2010

 

 

              L'inimaginable catastrophe qui frappe Haïti ne doit pas qu'à la tectonique des plaques et à la situation géographique de l'île que découvrit, le premier, Christophe Colomb : elle est considérablement accrue, multipliée, par l'état désastreux d'un pays que deux siècles d'indépendance ont totalement ruiné. Or, il est étonnant de constater que, dans les journaux, les télévisions, le procès de la France est complaisamment instruit pour rendre notre pays responsable,  jusqu'à la fin des temps, de toutes les tragédies que la Perle des Caraïbes a accumulées, même si  Napoléon a eu cette idée saugrenue et stupide de vouloir rétablir l'esclavage dans nos colonies, pour le meilleur profit de quelques uns et le malheur du plus grand nombre.

            Aujourd’hui, le contraste est saisissant entre les départements français d'Amérique et les anciennes possessions britanniques, espagnoles ou néerlandaises qui les entourent. La départementalisation, certes imparfaite, explique ce constat évident et l'écart qui sépare, en termes de niveau de vie, de solidarité nationale et de sécurité , la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane de la Dominique, de Sainte Lucie, de Saint Domingue ou de quelque autre Etat indépendant de la Caraïbe n'a  plus à être mis en évidence. Les propos insultants de M. Confiant à l'encontre des électeurs martiniquais et guyanais que le CSLR a mis en évidence,  ne peuvent cacher cette simple réalité que les Français de ces départements le savent et ne craignent de le proclamer à  la face des falsificateurs de l'Histoire.

            La France n'est assurément pas le pays qui ait toujours et en tous lieux le mieux respecté les droits de ses sujets puis de ses citoyens : elle n'est pas pour autant celui qui ait le plus à rougir de sa politique « coloniale » mais si elle doit reconnaître ses erreurs, on doit aussi lui faire crédit de ses succès. Sinon, comment expliquer l'acharnement des Mahorais à se faire reconnaître le statut de DOM, sauf à les considérer comme des ignorants ou, pire, des imbéciles ? Sinon, comment   expliquer que Lilian  Thuram - j'évoque son nom en raison de sa notoriété -  vienne tranquillement  expliquer à la télévision sa fierté d'être français ? Sinon, comment expliquer le vote de nos compatriotes martiniquais et guyanais rejetant l'option qui avait pourtant la préférence de la plupart des élus et du gouvernement ? Saluons plutôt la résolution et la maturité d'un corps électoral qui su dire leur fait aux uns  comme à l'autre et n'allons pas chercher midi à quatorze heures à l'instar des penseurs qui, vivant à Paris, prétendent déterminer le « bonheur » de ceux qui travaillent aux Antilles.

           Pourtant, il est un homme que cette conscience tranquille et lucide de ses compatriotes « ultramarins » taraude : c'est notre Président de la République, qui, des années plus tard, nous refait le « coup de la Corse «  et, semble-t-il, avec le même insuccès. Souvenez – vous : il s'agissait alors de conférer à l'Ile de Beauté un statut d'autonomie que les autonomistes corses réclamaient à cor et à cris. En son temps, Pierre Joxe avait, lui aussi œuvré dans le même sens en  voulant imposer la notion de « peuple corse » et il avait échoué en raison des vigoureuses protestations locales. Des années plus tard, lorsqu'il fut consulté à deux reprises par le Ministre Nicolas Sarkozy, le corps électoral de Corse confirma sa ferme position et ce fut un échec cuisant pour le politique ambitieux qui n'avait pas encore dévoilé son « plan de carrière ». Ce camouflet aurait pu et dû inciter notre Président à ne pas récidiver, mais il a, cette fois encore, mésestimé la volonté populaire et fait prendre un risque inutile à la cause sacrée de la cohésion nationale, cette cohésion que nous affichons clairement comme nôtre.

         Je ne suis originaire ni de la Corse ni d'un DOM mais j'ai ressenti ces consultations, à Ajaccio dans les années passées, à Fort de France ou à Cayenne hier, comme une atteinte à la dignité de mes compatriotes consultés, dans la mesure où Paris semblait considérer qu'ils n'étaient peut-être pas des citoyens tout à fait comme les autres puisqu'on pouvait leur proposer des réformes «institutionnelles » dont  les autres Français  étaient exclus. A moins que ce ne fussent ceux-ci qui devinssent alors des citoyens « particuliers ».

          Or, le plus préoccupant n'est pas dans le double échec d'un homme politique, si brillant soit-il. Il est dans l'irrespect par le Gardien des Institutions, le Président de la République, de ses devoirs constitutionnels, à savoir le maintien de l'intégrité du territoire de la République et l'égalité de ses citoyens. Il est dans l'ignorance du bon sens populaire  qui ne distingue pas, dans nos îles, « l'autonomie » de « l'indépendance », parce qu’il sait que la première est le masque et la préfiguration de la seconde. Il est dans la méconnaissance de l'histoire de ces départements qui, à chaque fois que la question leur fut posée, répondirent à des majorités écrasantes que l'alléchante indépendance ne les intéressait en rien. S'il connaissait les départements d'outre-mer, le Président saurait ou se souviendrait de la mésaventure du parti socialiste qui connut une véritable implosion  au début des années 70, alors même qu'il représentait la force politique dominante de ces îles. Ce naufrage politique irrémédiable intervint  quand ses instances parisiennes se mirent en tête de traiter des affaires de l'Outre-mer  au chapitre des relations internationales de leur programme. L'indignation des élus de la Martinique et de la Guadeloupe fut-elle qu'ils démissionnèrent massivement du Parti socialiste et rejoignirent la droite qui n'en demandait pas tant. Instruit par la leçon, François Mitterrand se garda bien de remettre le couvert de l'autonomie et se posa toujours en garant de l'intégrité territoriale de la République mais la gauche non communiste ne se remit jamais de cette faute.

          Ce n'est pas, en effet,  seulement à l'esprit de la République que ces remises en cause portent atteinte, mais aussi et sans doute davantage à la dignité d'une communauté, en l'occurrence celle de compatriotes des îles françaises d' Amérique et au-delà du peuple français tout entier qui ne serait pas ce qu'il est si nous manquaient ces femmes et ces hommes, ces frères et ces sœurs qui portent avec nous l'héritage commun et le beau nom de Français.

Il ne faut jamais injurier l'Histoire.

 

 

Yves BONNET
Membre du Directoire CSLR-Paris
29 janvier 2010

NDLR : (extrait de wikipedia) Yves Bonnet intègre le corps préfectoral en 1958. Sous-préfet de Cherbourg (1977-1978), puis préfet de Mayotte entre janvier et novembre 1982, il est nommé par François Mitterrand directeur de la Direction de la surveillance du territoire (DST) entre 1982 et 1985. À ce titre, il est à l'origine de l'affaire Farewell. Nommé préfet de la région Guadeloupe après les émeutes de juillet 1985, il devient préfet de Champagne-Ardennes en 1987, du fait de la cohabitation alors que son travail en Guadeloupe était reconnu de tous les observateurs de la vie locale.
Il s'implante ensuite politiquement à Cherbourg sous l'étiquette de l'UDF, devenant député de la Manche entre 1993 et 1997, ainsi que membre et président de la Commission des finances du conseil général, et conseiller municipal d'opposition cherbourgeois.
Yves Bonnet est le président-fondateur du Centre international de recherches et d’études sur le terrorisme et l’aide aux victimes du terrorisme (CIRET-AVT).

Il est également consultant pour plusieurs médias français et étrangers sur les questions de sécurité internationale et de terrorisme et intervient en tant qu'expert auprès de la division Intelink du groupe Digital network.[réf. nécessaire]

Il est aussi l'auteur de plusieurs ouvrages qui vont du document d'enquête au roman d'espionnage.