L'indignité nationale - Yves BONNET - 09 février 2010

 

             Cette photographie du préfet de la Martinique, revêtu de la casaque du K5f , comme le mauvais jockey d'une mauvaise cause, me consterne au plus profond de moi-même, brouillant l'image que tout citoyen est en droit d'exiger de ceux qui ont reçu et accepté la mission d'incarner cette exaltante abstraction que l'on nomme la République. Passe que cet éminent personnage ait oublié sa veste sur le dossier de son fauteuil, passe qu'il pose avec ceux qui ont organisé le désordre, bafoué la loi, ruiné et détruit des emplois par milliers, ces emplois qu'il est si difficile de créer, passe qu'il ait oublié  que sa première mission est d'assurer l'ordre républicain, mais qu'il pousse le  ridicule jusqu'à poser ainsi attifé, et que, quelques mois plus tard, il reçoive quitus de sa bonne tenue de la bouche même du Président de la République, me fait balancer entre nausée et fou-rire.

              Cet épisode ubuesque que le personnage tient probablement pour une éclatante démonstration de ses talents manœuvriers, et qui me rappelle le Louis XVI du vingt juin buvant du vin rouge avec les révolutionnaires qui avaient envahi les Tuileries,  cette pauvre pantalonnade n'a qu'une excuse, les consternants propos que tenait  à peu près à cette période le ministre des DOM que le Président nous avait donné et ce à quelques kilomètres, dans le département voisin de la Guadeloupe. Cet autre représentant de la France, lui aussi en mal de popularité, se lançait en effet dans une série de déclarations fracassantes desquelles je retiens celle-ci : la condamnation des « massacres » de 1967, avec leur cortège de « 87 morts ». A cette déclaration, mon sang n'avait fait qu'un tour.  Où M. Jégo était-il allé chercher pareille nouvelle ? Avait-t-il pris la peine de consulter le dossier qui est conservé à la préfecture et qui traite en détail de ces évènements tragiques ? Qui avait eu le courage de le rappeler à la vérité et de lui conseiller de raison garder ? Sur un sujet aussi grave, le premier devoir de l'Etat est de dire la vérité , toute le vérité et de démentir, preuves à l'appui, les inepties, les légendes, fût-ce celle des 87 morts, si opportune pour les manipulateurs. Il est suffisamment navrant d'avoir à déplorer la mort d'hommes, de frères, de parents sans en rajouter et de quelle manière. Tomber dans la surenchère irresponsable est indigne pour tout honnête homme. Pourtant, le « ministre » l'a fait. Dès lors, le préfet qui oublie sa dignité n'est plus qu'à demi responsable.

             Si j'évoque ces manquements à l'honneur, c'est pour deux raisons : d'abord parce que j' ai eu entre les mains  le dossier de 1967 et que je sais ce qui REELLEMENT  s'est passé à Basse-Terre et à Pointe -à- Pitre en ces jours d'émeute, ensuite parcequ'un homme a été sali qui ne le méritait pas, le Préfet Pierre Bolotte.

Il est si courageux de stigmatiser un mort. Certes, placés dans les mêmes conditions, M.Mancini et M. Jégo n'agiraient pas comme Pierre Bolotte mais je crains bien que leur méthode ne soit bien plus dangereuse pour la République et plus préjudiciable aux intérêts des citoyens de ces départements. 

             A ceux qui mettraient en doute ce que je dis, et je le comprendrais aisément tant les déclarations inexactes se sont multipliées sur le sujet, je demande de soutenir la proposition que je formule solennellement de la publication du dossier de ces évènements et s'il le fallait la constitution d'une commission d'enquête. Il n'est jamais trop tard pour dire la vérité  et il ne faut pas la craindre. Ainsi les témoins de la tragédie pourront se manifester librement et la Nation saura si certains ont failli et de quelle manière , si des réparations doivent intervenir ,   des condamnations être prononcées. Toutefois, je préviens charitablement qu'il y aura des surprises.

           De  Pierre Bolotte, d'Ange Mancini, lequel s'est le mieux acquitté de sa mission ? Lequel est récompensé, lequel vilipendé ? Pierre Bolotte a vécu des moments terribles, lui qui était un parfait  humaniste, un chrétien démocrate, et auquel la violence faisait horreur. Il a dû gérer une situation sans précédent avec ses moyens, qui n'étaient pas ceux mis à la disposition de M. Mancini. Il l'a fait dans l'honneur et nul n'a songé à sanctionner sa conduite : je ne rejoindrai pas le cortège de ceux qui, aujourd'hui, sans examen,  vont cracher sur sa tombe.

            Je me sens solidaire  de Pierre Bolotte. Pas d'Ange Mancini.

 Yves BONNET
09 février 2010