Assemblée Nationale - 7 décembre 2009 - Intervention de Monsieur Louis-Joseph Manscour

Assemblée nationale

Séance du lundi 7 décembre 2009

Déclaration du Gouvernement sur la consultation des électeurs de Guyane et de la Martinique et débat sur cette déclaration

 

Monsieur Louis Joseph Manscour, député de la Martinique

Les 10 et 24 janvier prochains, les électrices et les électeurs martiniquais seront consultés sur l’évolution institutionnelle et statutaire de leur région, à la demande des élus départementaux et régionaux réunis en Congrès le 18 décembre 2008.

Cette consultation se déroulera en pleine crise économique et sociale. Tous les indicateurs sont au rouge : chômage, cherté de la vie, licenciements, faillites d’entreprises, difficultés financières de nos collectivités, notamment communales. Telles sont les préoccupations et les inquiétudes quotidiennes des Martiniquais.

C’est dans ce contexte difficile que les Martiniquais auront à exprimer leur choix. C’est donc une décision capitale, et même historique, qu’ils auront à prendre, car elle va engager l’avenir de nos populations.

J’en veux pour preuve l’âpreté des débats, parfois passionnels, qui rythment la vie publique et mobilisent élus et citoyens avertis. Des visions opposées s’affrontent depuis des semaines dans les médias : journaux, radios, TV, presse écrite, blogs, sites internet... Entre partisans du 73, donc de l’assimilation législative, et ceux du 74, c’est-à-dire de la spécificité législative, il s’agit de savoir qui convaincra les électeurs du statut porteur du meilleur avenir…

Madame la ministre, mes chers collègues, au-delà de la campagne électorale, comment interpréter l’hypersensibilité des populations d’outre-mer, voire leur inquiétude, sur tout ce qui touche à leurs relations avec ce qu’il est convenu d’appeler la métropole ? Cette hypersensibilité découle de la dualité qui habite, j’en suis convaincu, le cœur de chaque domien, et qui fait qu’il reste français tout en étant profondément martiniquais, guyanais ou d’un autre territoire. Voilà pourquoi il est si difficile d’aborder le chantier de l’évolution institutionnelle et statutaire de nos régions.

Depuis 1946, nos territoires ont choisi de rester français, contrairement à la plupart des pays insulaires issus de la colonisation anglaise, espagnole ou portugaise. Nous sommes encore en train de faire l’apprentissage de nous-mêmes, de nous révéler à nous-mêmes, de prendre conscience de nous-mêmes. Nous sommes des communautés humaines qui cherchent à construire leur légitime identité dans le cadre français et européen.

Cette question, que l’on posait depuis longtemps sans obtenir de réponse claire ni adaptée, a finalement été comprise par le Président de la République François Mitterrand et formulée par Aimé Césaire en 1981. Tous deux ont saisi la nécessité de concilier nationalité française et identité martiniquaise, guadeloupéenne, guyanaise, réunionnaise. Cet équilibre constitue l’approche innovante qu’attendaient nos communautés respectives. Telle est la double exigence que nous devons satisfaire aujourd’hui.

Il faut du reste avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que le Président Sarkozy, dont je ne partage pourtant pas les idées, s’est inscrit dans cette approche avec le discours qu’il a prononcé lors du premier conseil interministériel de l’outre-mer, le 6 novembre dernier.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. Louis-Joseph Manscour. À la départementalisation centralisatrice de 1946 s’est donc substituée, en 1981, la décentralisation – à ceci près que celle-ci n’est pas un statut, mais un processus de déverrouillage du modèle jacobin français hérité du colbertisme. Depuis lors, mes chers collègues, nous sentons – outre-mer bien plus qu’en métropole, du fait de notre insularité et de notre éloignement – les prémices d’une nouvelle ère historique à travers les libertés locales, le droit d’expression, l’abolition des tutelles ou la fin du contrôle a priori des préfets. Force est toutefois de constater que les transferts de compétences de l’État, mal compensés financièrement, n’ont pas permis l’émergence d’une véritable gouvernance locale. Ils auraient pourtant dû favoriser une nouvelle économie locale, susceptible d’atténuer la dépendance à l’égard du système redistributif français qui caractérise la départementalisation.

L’aggravation permanente du chômage, qui atteint jusqu’à 30 % des actifs, la destruction de l’appareil productif agricole et industriel, l’affaiblissement de la valeur travail et l’explosion des contrats aidés et du RMI, qui pérennisent la précarité, nous ont rapidement convaincus de la nécessité d’encourager davantage l’émergence d’un nouveau modèle, aujourd’hui consensuel : le modèle endogène. Il faut donner un nouveau souffle à la gouvernance locale, en alliant responsabilité et développement.

Ce que les élus ont peut-être peiné à faire comprendre aux autorités étatiques, la mobilisation sociale de février 2009, qui a embrasé la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique, l’a crié dans les rues de Cayenne, de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France pendant plus de trente jours. Aujourd’hui, mes chers collègues, je n’aurai aucun mal à vous convaincre que, pour nos populations, l’heure des solutions politiques et économiques a sonné. Il nous faut désormais passer à une nouvelle étape : la construction de projets opérationnels lisibles pour les acteurs économiques et sociaux et adaptés à leurs attentes. Il nous faut donner un sens à la construction de cette gouvernance locale.

Pour autant, au prétexte qu’une grande majorité de nos compatriotes souhaite que les acteurs de nos territoires jouissent de responsabilités accrues, fallait-il, en cette période d’incertitude croissante, remettre précipitamment à l’ordre du jour le processus d’évolution institutionnelle et statutaire ? À nos yeux, ce dernier a été mal engagé. Je le répète, on ne peut pas se dissimuler derrière le vote de quelque soixante-cinq élus, certes légitimes, mais trop peu nombreux au regard des enjeux considérables en question. Il eût mieux valu solliciter l’accord de tous les élus martiniquais, soit plus de neuf cents personnes, maires, conseillers municipaux et parlementaires réunis. On ne saurait opposer les bons élus, partisans de l’article 74, aux mauvais, défenseurs de l’article 73 – ou inversement.

Nous, socialistes martiniquais, nourrissons une aversion particulière pour le clanisme. Notre seul camp est celui de la Martinique. Nous avons fait le choix de l’article 73 révisé en 2003, qui nous offre la possibilité d’une évolution institutionnelle maîtrisée et sécurisée, et non celui d’une évolution statutaire dans le cadre de l’article 74, dont on ne maîtrise pas les contours et qui dépendra du bon vouloir de l’exécutif et du Parlement français.

« Lors de l’examen de la loi organique, nous savons qu’il nous faudra ferrailler », vient de dire Christiane Taubira. Mon père était ferrailleur. (Sourires.) Je sais ce que c’est que de ferrailler. Mais je ne veux pas que le peuple martiniquais soit obligé de ferrailler pour surmonter ses difficultés actuelles.

Mme Christiane Taubira. Nous ferraillons tous les ans pour le budget de l’outre-mer ! Nous ne faisons que cela, ferrailler !

M. Louis-Joseph Manscour. Notre choix n’est pas synonyme d’immobilisme ou d’archaïsme. Il ne signifie nullement le maintien du statu quo. Il ne revient pas non plus à accepter une dépendance croissante vis-à-vis de la France hexagonale. Ce n’est pas le choix de l’assistanat ni celui de l’assimilation culturelle.

Ce choix traduit, bien au contraire, la volonté de construire une nouvelle Martinique, active, dynamique, responsable, consciente d’elle-même, valorisant le progrès par le travail, l’effort et la solidarité. Il nous permettra, j’en suis convaincu, de desserrer sans risque le corset qui contraint le développement de notre pays.

Le véritable enjeu de ce débat est la construction d’un projet de société, et non d’un programme électoral qui entasse pêle-mêle routes, logements et ponts. Voici les deux questions fondamentales que nous devons nous poser : tout d’abord, que voulons-nous pour notre pays martiniquais ? Ensuite, quel type de société voulons-nous léguer à nos enfants ?

Ce projet de société n’existe pas. Nous devons le bâtir ensemble, avec le concours de tous : élus, citoyens, acteurs économiques et sociaux, État. Aujourd’hui, nous devons « jouer collectif », au lieu de chercher à satisfaire un besoin ou un intérêt personnel. Je le dis à tous les Martiniquais et à toutes les Martiniquaises.

Pour toutes ces raisons, sans complexe et en toute responsabilité, nous, socialistes martiniquais, appelons les Martiniquais à voter « non » le 10 janvier au passage à l’article 74, et « oui » le 24 janvier à la création d’une collectivité unique, dans le cadre de l’article 73. Nous devons marcher au rythme du peuple martiniquais, avec le peuple martiniquais, pour le peuple martiniquai 

M. Louis-Joseph Manscour. Les 10 et 24 janvier prochains, les électrices et les électeurs martiniquais seront consultés sur l’évolution institutionnelle et statutaire de leur région, à la demande des élus départementaux et régionaux réunis en Congrès le 18 décembre 2008.

Cette consultation se déroulera en pleine crise économique et sociale. Tous les indicateurs sont au rouge : chômage, cherté de la vie, licenciements, faillites d’entreprises, difficultés financières de nos collectivités, notamment communales. Telles sont les préoccupations et les inquiétudes quotidiennes des Martiniquais.

C’est dans ce contexte difficile que les Martiniquais auront à exprimer leur choix. C’est donc une décision capitale, et même historique, qu’ils auront à prendre, car elle va engager l’avenir de nos populations.

J’en veux pour preuve l’âpreté des débats, parfois passionnels, qui rythment la vie publique et mobilisent élus et citoyens avertis. Des visions opposées s’affrontent depuis des semaines dans les médias : journaux, radios, TV, presse écrite, blogs, sites internet... Entre partisans du 73, donc de l’assimilation législative, et ceux du 74, c’est-à-dire de la spécificité législative, il s’agit de savoir qui convaincra les électeurs du statut porteur du meilleur avenir…

Madame la ministre, mes chers collègues, au-delà de la campagne électorale, comment interpréter l’hypersensibilité des populations d’outre-mer, voire leur inquiétude, sur tout ce qui touche à leurs relations avec ce qu’il est convenu d’appeler la métropole ? Cette hypersensibilité découle de la dualité qui habite, j’en suis convaincu, le cœur de chaque domien, et qui fait qu’il reste français tout en étant profondément martiniquais, guyanais ou d’un autre territoire. Voilà pourquoi il est si difficile d’aborder le chantier de l’évolution institutionnelle et statutaire de nos régions.

Depuis 1946, nos territoires ont choisi de rester français, contrairement à la plupart des pays insulaires issus de la colonisation anglaise, espagnole ou portugaise. Nous sommes encore en train de faire l’apprentissage de nous-mêmes, de nous révéler à nous-mêmes, de prendre conscience de nous-mêmes. Nous sommes des communautés humaines qui cherchent à construire leur légitime identité dans le cadre français et européen.

Cette question, que l’on posait depuis longtemps sans obtenir de réponse claire ni adaptée, a finalement été comprise par le Président de la République François Mitterrand et formulée par Aimé Césaire en 1981. Tous deux ont saisi la nécessité de concilier nationalité française et identité martiniquaise, guadeloupéenne, guyanaise, réunionnaise. Cet équilibre constitue l’approche innovante qu’attendaient nos communautés respectives. Telle est la double exigence que nous devons satisfaire aujourd’hui.

Il faut du reste avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître que le Président Sarkozy, dont je ne partage pourtant pas les idées, s’est inscrit dans cette approche avec le discours qu’il a prononcé lors du premier conseil interministériel de l’outre-mer, le 6 novembre dernier.

M. Éric Raoult. Très bien !

M. Louis-Joseph Manscour. À la départementalisation centralisatrice de 1946 s’est donc substituée, en 1981, la décentralisation – à ceci près que celle-ci n’est pas un statut, mais un processus de déverrouillage du modèle jacobin français hérité du colbertisme. Depuis lors, mes chers collègues, nous sentons – outre-mer bien plus qu’en métropole, du fait de notre insularité et de notre éloignement – les prémices d’une nouvelle ère historique à travers les libertés locales, le droit d’expression, l’abolition des tutelles ou la fin du contrôle a priori des préfets. Force est toutefois de constater que les transferts de compétences de l’État, mal compensés financièrement, n’ont pas permis l’émergence d’une véritable gouvernance locale. Ils auraient pourtant dû favoriser une nouvelle économie locale, susceptible d’atténuer la dépendance à l’égard du système redistributif français qui caractérise la départementalisation.

L’aggravation permanente du chômage, qui atteint jusqu’à 30 % des actifs, la destruction de l’appareil productif agricole et industriel, l’affaiblissement de la valeur travail et l’explosion des contrats aidés et du RMI, qui pérennisent la précarité, nous ont rapidement convaincus de la nécessité d’encourager davantage l’émergence d’un nouveau modèle, aujourd’hui consensuel : le modèle endogène. Il faut donner un nouveau souffle à la gouvernance locale, en alliant responsabilité et développement.

Ce que les élus ont peut-être peiné à faire comprendre aux autorités étatiques, la mobilisation sociale de février 2009, qui a embrasé la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique, l’a crié dans les rues de Cayenne, de Pointe-à-Pitre et de Fort-de-France pendant plus de trente jours. Aujourd’hui, mes chers collègues, je n’aurai aucun mal à vous convaincre que, pour nos populations, l’heure des solutions politiques et économiques a sonné. Il nous faut désormais passer à une nouvelle étape : la construction de projets opérationnels lisibles pour les acteurs économiques et sociaux et adaptés à leurs attentes. Il nous faut donner un sens à la construction de cette gouvernance locale.

Pour autant, au prétexte qu’une grande majorité de nos compatriotes souhaite que les acteurs de nos territoires jouissent de responsabilités accrues, fallait-il, en cette période d’incertitude croissante, remettre précipitamment à l’ordre du jour le processus d’évolution institutionnelle et statutaire ? À nos yeux, ce dernier a été mal engagé. Je le répète, on ne peut pas se dissimuler derrière le vote de quelque soixante-cinq élus, certes légitimes, mais trop peu nombreux au regard des enjeux considérables en question. Il eût mieux valu solliciter l’accord de tous les élus martiniquais, soit plus de neuf cents personnes, maires, conseillers municipaux et parlementaires réunis. On ne saurait opposer les bons élus, partisans de l’article 74, aux mauvais, défenseurs de l’article 73 – ou inversement.

Nous, socialistes martiniquais, nourrissons une aversion particulière pour le clanisme. Notre seul camp est celui de la Martinique. Nous avons fait le choix de l’article 73 révisé en 2003, qui nous offre la possibilité d’une évolution institutionnelle maîtrisée et sécurisée, et non celui d’une évolution statutaire dans le cadre de l’article 74, dont on ne maîtrise pas les contours et qui dépendra du bon vouloir de l’exécutif et du Parlement français.

« Lors de l’examen de la loi organique, nous savons qu’il nous faudra ferrailler », vient de dire Christiane Taubira. Mon père était ferrailleur. (Sourires.) Je sais ce que c’est que de ferrailler. Mais je ne veux pas que le peuple martiniquais soit obligé de ferrailler pour surmonter ses difficultés actuelles.

Mme Christiane Taubira. Nous ferraillons tous les ans pour le budget de l’outre-mer ! Nous ne faisons que cela, ferrailler !

M. Louis-Joseph Manscour. Notre choix n’est pas synonyme d’immobilisme ou d’archaïsme. Il ne signifie nullement le maintien du statu quo. Il ne revient pas non plus à accepter une dépendance croissante vis-à-vis de la France hexagonale. Ce n’est pas le choix de l’assistanat ni celui de l’assimilation culturelle.

Ce choix traduit, bien au contraire, la volonté de construire une nouvelle Martinique, active, dynamique, responsable, consciente d’elle-même, valorisant le progrès par le travail, l’effort et la solidarité. Il nous permettra, j’en suis convaincu, de desserrer sans risque le corset qui contraint le développement de notre pays.

Le véritable enjeu de ce débat est la construction d’un projet de société, et non d’un programme électoral qui entasse pêle-mêle routes, logements et ponts. Voici les deux questions fondamentales que nous devons nous poser : tout d’abord, que voulons-nous pour notre pays martiniquais ? Ensuite, quel type de société voulons-nous léguer à nos enfants ?

Ce projet de société n’existe pas. Nous devons le bâtir ensemble, avec le concours de tous : élus, citoyens, acteurs économiques et sociaux, État. Aujourd’hui, nous devons « jouer collectif », au lieu de chercher à satisfaire un besoin ou un intérêt personnel. Je le dis à tous les Martiniquais et à toutes les Martiniquaises.

Pour toutes ces raisons, sans complexe et en toute responsabilité, nous, socialistes martiniquais, appelons les Martiniquais à voter « non » le 10 janvier au passage à l’article 74, et « oui » le 24 janvier à la création d’une collectivité unique, dans le cadre de l’article 73. Nous devons marcher au rythme du peuple martiniquais, avec le peuple martiniquais, pour le peuple martiniquai