VIOLENCES EN GUADELOUPE : Les 7 questions d'Errol Nuissier

Les violences en Guadeloupe

Question 1: Pourquoi et MAINTENANT ce cycle de violences? À qui la faute?

La question de la violence peut se poser ou moins à trois niveaux, sur le plan mondial, national et sur le plan local. La crise économique internationale constitue une violence faite aux hommes, surtout ceux qui sont les plus démunis. La guerre constitue une pratique humaine historique, la manifeststion d’une action de prédation ou d’une tentative de maîtrise de l’autre, afin de le rendre à notre image. La crise mondiale a une incidence sur l’économie nationale, mais les effets sont atténués ou majorés, selon les stratégies politiques nationales mises en place. En réaction à cette stratégie, les hommes utilisent parfois des moyens illégaux, pénalisés ou non, selon que le système judiciaire accepte ou non, cette expression de leur mal-être et cette forme de revendications. Au plan local, il existe bien évidemment des retombées de la crise mondiale, mais aussi celles des stratégies politiques nationales et des réponses judiciaires aux actes de violences.

Question 2: la Guadeloupe, qu'on disait hospitalière, accueillante, a t elle basculé?

La Guadeloupe hospitalière, est à la fois un mythe et une réalité. C’est le mythe de la plage, des cocotiers, du soleil, des personnes qui passent leur temps à sourire, qui sont gentilles et soumises. C’est la réalité que l’on est ici aussi hospitalier et aussi inhospitalier qu’ailleurs.

L’etude des faits divers, montre que les agressions contre les femmes ne sont pas plus nombreuses aujourdhui qu'hier, c'est la médiatisation qui "amplifie" le phenomène? Les agressions contre les femmes, constituent une forme de violence présente dans toutes les sociétés avec des manifestations variées (physique, psychique et sexuelle) plus ou moins visibles et fortes. Mais, elles constituent aujourd’hui, une priorité gouvernementale que les Parquets sont chargés de relayer. Cette priorité constitue une évolution continue du statut des femmes et s’inscrit dans le droit-fil de la parité, de la disparition des tabous concernant les métiers réservés aux hommes et elle transcende les clivages politiques. Les médias contribuent aussi, à véhiculer cette idée et à accélérer le mouvement de transformation. Cette évolution constitue par ailleurs, un rééquilibrage nécessaire, entre la réalité (une égalité de compétences) alors que les pressions machistes, contribuaient à maintenir et à justifier par tous les moyens pseudoscientifiques, le déséquilibre illusoire entre les hommes et femmes.

Question 3: on pensait qu'il ne s'agissait que de jeunes, mais la "nouveauté", c'est que des gens moins jeunes aussi ont des comportements violents... C'est donc un phénomène sociétal plus général?

Sur le plan local, nous sortons d’une situation de violences interpersonnelles, de contraintes, de privation de liberté, de pressions psychiques, de menaces et de mort, qui ont entraîné en réaction, un vécu de dépression, dans l’ensemble de la population, à la fois chez les yo et chez les nou. Celui-ci s’est traduit soit par le repli sur soi, soit par des conduites antisociales, soit par des conduites d’auto ou d’hétérodestruction. L’augmentation des violences sur les personnes, peut être expliquée au moins par deux facteurs. Le premier, la légitimation de l’expression des conduites agressives présentes en chacun de nous, puisque nous avons été plongés dans un contexte dans lequel la toute puissance de certains était légitime, car leurs actes de privation de la liberté des autres n’ont pas été punis. D’autre part, les actes de violence à l’égard des personnes, dont certaines ont entraîné la mort, ont été des actes totalement endogènes (agresseurs/victimes). Autrement dit, il est devenu légitime d’agresser l’autre et surtout ses semblables, d’où le développement consécutif et réitéré d’une violence interpersonnelle de proximité. Par ailleurs, nous avons assisté à une augmentation régulière de la violence commise par des mineurs, toujours plus importante en période de grandes vacances et d’autre part, à la poursuite des règlements de comptes entre bandes rivales, comme cela a commencé il y a au moins une année. Sur le plan économique, cette situation d’inquiétude a freiné les velléités d’investissement, rendant encore plus insécures les lendemains et plus incertaine, la possibilité de sortir des situations de chômage et de précarité. En outre, il n’est pas inexacte de penser, que les oppositions habituelles dans l’entreprise, entre dirigeants et salariés, se sont exacerbées ; les premiers voulant à tout prix, prendre leur revanche. Cette opposition qui depuis quelques années, se traduit chez nous à travers des violences. À la violence répétée des uns, pour sortir de leur précarité, pour obtenir de meilleures conditions de travail, a entraîné un sentiment d’insécurité et de peur chez les autres, porté à son paroxysme lors de la longue grève. Cette revendication, portée alors à son apogée, car transformée en exigence sans contrepartie et sous une forme violente (donnez nous 200€, tout de suite, sinon, il vous en cuira et nous ne donnons rien retour) a entraîné un sentiment d’insécurité chez les employeurs, décuplant leur désir de vengeance. La mutation de la revendication en exigence, de l’opposition en menace, associée au désir de vengeance, a entraîné un désir de destruction des salariés par des licenciements, des refus d’embauche et un désir d’augmenter la fragilité de leur situation. Il faut noter que ce mode de fonctionnement, présent depuis plus de 10 ans, s’est accentué ces derniers mois. L’hypothèse que la violence actuelle est consécutive à la longue grève, mais surtout à son règlement, est que la fin du conflit a été négociée comme d’habitude depuis au moins 10 ans : on signe un protocole d’accord de guerre lasse, que l’on veillera à ne pas appliquer. On ne cherche pas à dépasser après le conflit, les clivages, en s’asseyant à la même table, en se regardant en face, en s’exposant directement, mais dans l’échange et le respect de l’autre, ses griefs, en reprenant à son compte par exemple, l’initiative présidentielle des Etats Généraux, comme cela a été fait en Martinique. On reste dans la conduite antisociale, on menace, on vient en meute faire peur au Ministre, au Préfet, aux élus du Conseil Général. La meute est un groupe et comme lui, elle fonctionne davantage sur le mode de l’insconscient que du conscient, davantage dans le fantasme que dans la réalité, avec en plus le rapport de force et la menace constante à l’égard de l’autre et de sa sécurité.

Question 4 : le schéma traditionnel et fanonien était d'expliquer la violence, comme inhérente à une société coloniale née de la violence (esclavage, sévices, viols) ... Fanon est il aujourd’hui dépassé?

Fanon constitue une référence pour expliquer les relations interpersonnelles en pays colonisé, notamment les relations de violences. Dans ses travaux, l’auteur évoque aussi le désir de l’esclave de s’identifier au statut, au pouvoir apparent du maître, de lui ressembler, en le singeant. Nous avons fréquemment tendance à occulter cette deuxième partie de son analyse. Pour dire qu’il est dépassé, il faudrait encore accepter l’œuvre de l’auteur dans son intégralité. Par ailleurs, il convient de cesser d’être esclave de l’esclavage. Autrement dit, d’expliquer tout les évènements qui se déroulent dans le pays, et peut-être même la météo, sous le seul prisme des relations maître/esclave. Le choix des anciens esclaves de ne plus l’être, constitue un choix, puisque même si l’on dit que l’esclavage a été aboli, c’est d’abord en raison des luttes farouches, de la volonté affirmé des hommes, de ne plus être asservis par d’autres hommes, qui a fait triompher la cause et le(s) décret(s) abolitionniste(s). Par conséquent, il faut analyser notre relation à la violence en prenant en compte notre capacité à vouloir changer les choses. Il faut aussi la situer dans la relation de l’Homme en général avec sa propre violence (violence pulsionnelle) dans les relations interpersonnelles (violence sociale) dans les modèles éducatifs persistants (on maintient à l’époque d’internet la correction à la ceinture et avec d’autres armes par destination) dans l’évolution de l’humanité (violence historique) etc.

Question 5: autre explication souvent récurrente: les medias, les films violents, les jeunes noirs africains americains bref des modéles importés? La mondialisation.

On ne peut pas ignorer, le pouvoir magique des médias, dont l’influence que ceux-ci peut avoir sur les êtres sensibles, dont l’esprit critique, n’a jamais été formé et a fortiori aiguisé, dont l’accompagnement éducatif au quotidien a toujours été et demeure défaillant. Par ailleurs, la banalisation des scènes de violence, à travers les films et les jeux, et leur présence quantitativement significative, dans une journée de diffusion, a certainement une incidence sur les esprits précités. Il ne faut cependant pas oublier que les médias sont là pour informer, et non pour éduquer. Il ne faut pas leur demander de jouer un rôle qui ne leur est pas initialement dévolu. Il faut aussi que nous cessions d’être externalistes, de croire toujours que ce qui nous arrive de mal (ou de bien) est chaque fois la faute (ou la grâce) des autres et jamais la nôtre. Il faut aussi se rappeler qu’il n’y a pas de relation directe, de cause à effet. Le sujet issu d’une relation familiale violente, choisi de prolonger ou de ne pas prolonger celle-ci dans sa propre famille.

Question 6 : au delà du simple et habituel constat, la question du " Que faire, et comment faire" se pose avec acuité. Il n'y a pas de solution toute faite? Mais alors.

Aujourd’hui, il s’agit de reconnaître que comme tous les êtres humains et les animaux supérieurs, nous avons besoin, d’exprimer l’agressivité qui est en nous. Nous avons aussi besoin, d’exprimer notre volonté de maîtrise, de destruction de l’autre, qui constitue la violence. Nous ne sommes ni meilleurs, ni pires que les autres Hommes. Il est essentiel que nous puissions nous reconnaître comme un peuple entier, multiple dans son apparence, mais uni par une langue, une culture, une façon d’être, de percevoir, d’analyser, de comprendre le monde et par un destin commun. Nous devons développer notre désir commun d’aller de l’avant, de construire un avenir pour chacun de nos enfants. Chaque fois que nous resterons dans le clivage, nous serons systématiquement dans l’opposition, dans le développement des angoisses, des peurs mais aussi de l’instinct archaïque de destruction. Cet instinct qui fait croire qu’une partie de soi est bonne et qu’une autre partie du même soi est mauvaise. Et c’est finalement, pour aboutir à une destruction personnelle. C’est pourquoi les violences durant cette longue grève et encore aujourd’hui, touchent avant tout et surtout, nous autres Guadeloupéens. Quelques pistes de réflexion. Il est nécessaire que le droit soit rétabli, que l’on rappelle ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, que l’on sanctionne ce qui est illégal. Il est également nécessaire de soutenir, d’accompagner, de guider et parfois d’imposer aux parents et aux enfants, leurs droits et leurs devoirs. Il est nécessaire aussi que nous puissions repenser l’éducation, l’enseignement, la formation professionnelle, afin qu’elles puissent constituer des sources d’enrichissement, par l’ouverture au monde extérieur, par le développement des compétences, des savoir-faire, par la valorisation des capacités personnelles, par la culture de l’effort toujours lié à la réussite. Pour simplifier, il faut toujours vouloir le bien pour l’autre, qu’il soit notre enfant ou celui d’un autre. Il faut toujours que nous puissions reconnaître, accepter pour les rejeter et parfois pour les dépasser, la facilité, la faiblesse, l’agressivité, la violence en nous. Il faut aussi, agir dans l’intérêt commun, sans attendre que ce soit l’autre qui nous l’impose. Car les enfants nous observent en permanence et nous constituons pour eux, des références et des modèles.

Question 7: la classe politique est comme "desarmée"; elle ne dit rien, ne propose rien, comment expliquer ce mutisme?

Dans le droit-fil de la question précédente, et dans le fil rouge des questions antérieures, il faut absolument refuser le clivage entre les politiques passifs, désarmés, voleurs, lâches et je-ne-sais-quoi-d’autre et la population active, armée, vierge de toute tache et en souffrance. L’initiative prise par l’Association des Maires d’une réunion de réflexion sur les violences, constitue une action. Elle est l’expression d’une volonté de faire un constat commun, de réfléchir ensemble, pour tenter d’apporter une compréhension et de proposer des pistes de réflexion et des ébauches de réponses. Il est important aussi, que chacun de nous prenne sa part de responsabilité, en refusant là encore, de rendre l’autre responsable de nos malheurs. Les politiques ont leur rôle et ils ne sont pas tous puissants. Par ailleurs, fortement ébranlés par le clivage exacerbé des grévistes : les politiques locaux sont mauvais, ceux de l’Hexagone sont bons, nos hommes politiques se remettent encore de ce cyclone. Dans le rendu des décisions, en écoutant les interviews, on est allé du constat, aux injonctions faites à l’Etat, en passant par des demandes d’aides à ce même Etat. Je ne suis pas certain que ce rendu fait à la population, soit la véritable synthèse des débats. Et si c’était le cas, il faudrait aller au-delà du positionnement électoraliste, ne pas le relayer et obliger les politiques, pour une grande cause et c’en est une, à transcender leurs oppositions habituelles (attitudes qui ne sont pas spécifiques aux hommes politiques de la Guadeloupe) pour aller dans le sens de l’intérêt commun.

Errol Nuissier