Lettre ouverte d'Amédée ADELAIDE à Monsieur le Président de la République

Monsieur le Président,

Depuis plus d'un mois, les activités économiques et les libertés publiques en Guadeloupe sont entravées par des activistes et des manifestants, se réclamant d'une soi-disant ligue contre l'exploitation abusive («Liyannaj Kont Pwofitasyon», ou LKP).

C'est ainsi qu'un véritable catalogue comportant près de 150 revendications et doléances était mis en avant, en vue de la satisfaction immédiate des exigences exprimées, sauf à endurer le désordre dans les rues et le blocage de la vie locale (services publics compris).

Cette démarche qui dénonce une série de dysfonctionnements locaux, effectivement préjudiciables à la vie quotidienne d'une part importante des milieux populaires, ne pouvait que susciter intérêt et sympathie dans cette population, et faciliter la mobilisation dans la rue d’une part non négligeable de ces catégories sociales.

A titre d'illustration, le manque de transparence dans la constitution des prix des produits importés, (carburants, produits alimentaires de base... ) a pu causer des dérapages réels, entamant sérieusement le pouvoir d'achat dans toutes les couches sociales, et précarisant particulièrement les plus démunis.
Il se trouve que sur la liste des revendications présentées, seuls quelques points pouvaient faire l'objet d'une négociation immédiate, à condition bien sûr de s'adresser au bon interlocuteur, et d'accepter les conditions d'une transaction paisible et réaliste.

Les autres questions soulevées imposent un traitement politique et un travail de ré-organisation administrative et économique de longue haleine.

Malheureusement le collectif hétéroclite qui a organisé l'opération, ne l'entendait pas de cette oreille; il regroupe en effet des communistes, des nationalistes extrémistes, des syndicalistes de rupture, des gauchistes, des altermondialistes, qui ont pour projet commun le rejet de la forme démocratique et de l'appartenance à la République Française; leur intransigeance volontaire et manifeste, autour de revendications mal évaluées, interdisait d'espérer une résolution rapide et sereinement négociée de la crise (il exigeaient par exemple du patronat privé une augmentation mensuelle de 200 euros pour tous les bas salaires, et une augmentation immédiate et massive de certaines prestations sociales !)
Retenons que cette intransigeance est grandement facilitée par la qualité de fonctionnaire de la plupart des animateurs du LKP, ce qui leur permet d’affronter, sans risques, l’interminable grève imposée par force au secteur privé et au reste de la population.

Ajoutons que ce collectif, mené par le dirigeant du syndicat UGTG, a méthodiquement instauré une mainmise syndicale étroite sur divers secteurs clés de notre société (fonction publique locale, stations services, stations radiophoniques et chaînes de télévision...); en verrouillant ces organes, en tenant la rue à l’aide de malfrats armés (dont tout un chacun a pu voir les «exploits», filmés lors des barrages et pillages), et au prix d'opérations violentes contre tout entrepreneur ou salarié récalcitrant, ce groupe s'est attaché à imposer des conditions de négociation sans crédibilité (réunions comportant plusieurs centaines de participants, sous le contrôle continu des caméras et micros de la presse, avec la pression des tambours, et la menace implicite de séquestration pesant sur les interlocuteurs).

Il s’agissait en fait de l’application pure et simple des résolutions de différents Congrès de l’UGTG et particulièrement celles du XIIème Congrès, tenu au Lamentin du 2 au 5 avril 2008, documents qui avaient au moins le mérite d’annoncer clairement la couleur; quelques extraits édifiants figurent en annexe du présent courrier

Il revenait aux autorités publiques en charge de la Guadeloupe de prendre actes de ces projets subversifs, et de les contrer de manière adaptée; faute d’avoir agi en temps utile, on a laissé les extrémistes et les malfaiteurs orchestrer et encadrer le mécontentement populaire dans la rue.
Le mal étant fait, et le désordre installé dans la rue, sans doute fallait-il éviter d'enclencher le cycle «manifestation-répression-solidarité populaire»; c’est probablement la raison pour laquelle l'autorité publique a consenti un temps à participer aux «négociations-forum» convoquées par le collectif sous les feux des projecteurs et de la presse.

Le fait d'y avoir été contraint implique cependant trois erreurs majeures:
- n'avoir pas détecté et déminé en temps utile les dysfonctionnements en cause dans notre département, offrant un boulevard aux extrémistes désireux de drainer, sur ce thème, l'adhésion populaire.
- avoir permis l'émergence d'une vedette de la politique issue de cette mouvance extrémiste, le porte-parole de ce collectif, non dénué de talents oratoires et de gouaille populaire, ayant bénéficié lors de ces «négociations» d'une couverture médiatique sans précédent.
- n'avoir pas exprimé clairement l'autorité de l'état en faisant connaître et respecter sans ambiguïté les limites imparties aux manifestations de ce genre (respect des grands services publics vitaux, des zones de sécurité, de la libre circulation, préservation du droit au travail pour les non-grévistes dans les entreprises, qu'elles soient publiques ou privées).

C’est ainsi que Guadeloupe s’est retrouvée en état d’insurrection pendant plus d'un mois, au gré des humeurs des syndicalistes, et des incidents émaillant ces «négociations».
Je voudrais que vous sachiez, Monsieur le Président, comment la plupart des Guadeloupéens ont perçu l’intervention de l’Etat dans cette affaire; ils y ont vu:
- Un gouvernement préoccupé par l’impact de la crise en France et dans le Monde, attentif à l’agitation sociale qui se développe sur le territoire hexagonal, mais ne prenant pas la mesure des problèmes sociaux locaux, et méconnaissant les enjeux politiques des troubles actuels.
- Un préfet tétanisé par la propagande du LKP (il est accusé publiquement «d’avoir été envoyé pour tuer des Guadeloupéens») et préférant cantonner les forces de maintien de l’ordre en casernement, plutôt que de risquer le moindre incident avec les fauteurs de troubles à l'heure où tout pouvait encore être arrêté.
- Un Secrétaire d’Etat à l’Outre Mer, mal informé des réalités économiques et politiques de l'île, croyant naïvement qu’il lui suffirait de vilipender les chefs d’entreprise et de flatter les «syndicalistes» pour retourner la situation.

Au total:
Les représentants de l’état n’auront pas su manifester une once de considération aux quelques trois cent quatre vingt mille Guadeloupéens qui ne participaient ni aux manifestations ni aux désordres, qui ont terriblement souffert de tout, et qui se sont battus chaque jour pour essayer de reprendre le travail en dépit des menaces, entraves, destructions, et brutalités des troupes du LKP.

A contre emploi, ils auront involontairement contribué à promouvoir le LKP, et à donner une audience nationale à son langage agressif et raciste, ainsi qu’à ternir de ce fait l’image de la Guadeloupe et des Guadeloupéens, présentés comme solidaires de ces positions; la France hexagonale, abreuvée par ailleurs d’informations parcellaires ou inexactes, en arrive à douter de l’attachement de la population guadeloupéenne à la France, et de l’opportunité de maintenir des liens datant de près de quatre siècles (cf les récents sondages publiés dans la presse métropolitaine).

Monsieur le Président,

Des milliers de signataires (n'ayant pas hésité à s'identifier) expriment aujourd'hui ce malaise dans des pétitions circulant sur Internet, faute que dans les rues ou les médias, ces protestations soient possibles.

Nous devons vous rappeler que les Guadeloupéens se sont déjà prononcés, en décembre 2003, à soixante quinze pour cent des suffrages, contre un changement statutaire bien que le projet ait été soutenu par la quasi-totalité des élus locaux. Vous avez indiqué, lors de votre récente intervention télévisée, que vous n’étiez pas opposé à une nouvelle consultation. Pour notre part, nous sommes sereins et ne redoutons aucune échéance démocratique Nous savons en effet qu’une énième proposition de «statut spécifique» sera rejetée avec encore plus de force qu’en 2003.

Il faut cependant que les vraies questions soient posées une fois pour toutes:
Depuis que la Guadeloupe a été érigée en département français le 19 mars 1946, il y a toujours eu une minorité pour réclamer un statut spécifique, voire l’autonomie ou même l’indépendance. Cette minorité n’a jamais cessé de recourir à l'invective, à la menace, voire à la violence, ou au terrorisme, pour tenter d'imposer ses thèses à la population locale et au Gouvernement. Chaque fois que la population guadeloupéenne a eu l’occasion de s'exprimer par un vote républicain (libre, serein et secret), elle a clairement repoussé ces tentatives. Cela fait soixante trois ans de constance dans ce choix. Combien de fois encore faudra-t-il la consulter, à ce sujet ? Combien de fois encore faudra-t-il qu’elle dise NON à ces menées, pour que les gouvernements de la France comprennent enfin que tout ce qu’elle demande, c’est une vie libre et décente, protégée des extrémistes par le pouvoir républicain, dans le cadre du droit commun institutionnel ?

Monsieur le Président,

Nous avons tous le souvenir d'un Ministre de l'Intérieur efficace et humain, devenu depuis Président de la République.
Nous ne pouvons qu'attendre de vous, le rétablissement de l'ordre républicain et de l'équité en Guadeloupe.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de mes très respectueuses salutations.

Amédée ADELAIDE
Citoyen français d’origine guadeloupéenne
Résident en Guadeloupe
Ancien Président, de la CCI de Pointe-à-Pitre
du Port Autonome de la Guadeloupe
de la Société Immobilière de la Guadeloupe

ANNEXE
Extraits des résolutions du XIIème Congrès du syndicat UGTG, tenu au Lamentin du 2 au 5 avril 2008
L’UGTG
« Affirme : Que le chômage de masse qui frappe près de 40 % de la population active, la précarité, la misère, l'exclusion, la prostitution, les cancers et autres pathologies directement liées à l'utilisation de produits prohibés en Europe mais autorisés «an Péyi annou» (dans notre pays), la drogue, le sida, l'échec scolaire, la dengue, le nombre croissant des IVG, la délinquance, la pollution des sols aux pesticides, ….. ne relèvent ni de la fatalité ni d'une quelconque malédiction mais sont les résultats, la conséquence de choix politiques délibérés de l'Etat Français, validés et soutenus par les valets locaux, visant à nous «démouné» (dépersonnaliser) et à annihiler toutes velléités de contestation sociale et politique des Guadeloupéens à l'égard de l'ordre colonial établi...
……
Réaffirme : L'appartenance de l'UGTG à la ligne syndicale de lutte de classe, de masse, de confrontation, de contestation et de transformation sociale visant à éradiquer les rapports de domination capitaliste et colonialiste an Péyi annou pour l'instauration d'une société plus juste et plus équitable...
…..
Considérant la dimension historique de l'UGTG, syndicat révolutionnaire de lutte de classe et de ligne de masse. Considérant que la ligne politique de l'UGTG nous invite à plus d'engagement pour la transformation de nos militants en militants politiques assurant une tâche syndicale...
…..
Exhorte : L'ensemble des militants des Unions et Secteurs de l'UGTG à mettre en oeuvre, dans tous les secteurs d'activités, des revendications tant stratégiques que quotidiennes, répondant aux exigences des Travailleurs et du Peuple de Guadeloupe pour la libération complète de la classe ouvrière et du Peuple Guadeloupéen, pour l'indépendance nationale... »