Petite Histoire économique (partielle et partiale?) du colonialisme en Guadeloupe, en parallèle avec la Martinique

Échange avec un ami nègre (J'estime, avec Césaire, que c'est un mot magnifique !)

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J'avais écrit sur son mur, où il évoquait le mort de l'autre nuit :

"Une prédisposition inconsciente et macabre à mettre les pas d'aujourd'hui dans les pas sanglants du passé..."

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A quoi il me répondit...

Lorsque le passé rejoint le présent c'est qu'une conjugaison nécessaire à se projeter dans le futur n'a pas été faite malheureusement. Cela se voit dans toutes les sphères de la société. Un bilan négatif ne permet pas de futur investissement. Des enfants mal élevés seront très certainement les mauvais larrons de demain... etc.. etc. La France n'a jamais réglé son passé colonial (afrique du nord, afrique noire, asie, caraibes), d'où par moments, les tensions d'aujourd'hui... A ma charge en tant que descendant de colonisé de transcender cela afin de bien vivre mon présent. A charge de l'ancien colonisateur à me donner une égalité de chance pour me propulser dans le futur...

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Et ma réponse, bien sûr, a manqué de concision et peut-être d'adéquation à son propos, mais c'est venu comme ça.

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Tu fais une erreur sémantique : quelque opinion qu'on puisse avoir sur la situation de la Guadeloupe, elle a reçu deux types de colons: les Européens et les Africains.

Quant aux colonisés, c'est-à-dire les Caraïbes, plus par inadvertance biologique que par volonté délibérée d'extermination, ils ont totalement disparu dès la fin du 18e siècle.

Comment définir la situation "coloniale" qui a sans doute été celle de la Guadeloupe à différentes époques ?

Certes pas par un statut juridique, puisque très tôt (dès la monarchie) la Guadeloupe, quoique définie comme "colonie", a participé à la vie de la nation dans des conditions en gros analogues à celles des autres provinces (députés aux Etats Généraux de 1789 par exemple).

Non, je reprendrai volontiers le terme de "Profitation", c'est-à-dire le fait pour un territoire, défini comme un tout, de prélever sur un autre une richesse sans commune mesure avec les services qu'il lui apporte.

Tel a bien été le cas au 18e siècle où les Antilles, au premier rang desquelles, alors, Saint-Domingue (90% du sucre mondial en 1790) ont été LE VECTEUR ESSENTIEL DE LA PUISSANCE ECONOMIQUE de la France !

Ca s'est beaucoup tassé ensuite...De répétitives crises sucrières aidant, le 19e siècle a été bien peu "colonial"... les ambitions en la matière s'étaient d'ailleurs détournées des "vieilles colonies".

A la fin de ce siècle cependant, l'ultime crise sucrière eut raison des grands exploitants blancs, qu'on continuait à désigner sous le nom de "colons", bien qu'au vrai, ils fussent comme la quasi-totalité des guadeloupéens, des "créoles".

Le Conseil général de la Guadeloupe, déjà contrôlé par la gauche, refusa en effet de garantir les dettes des planteurs (à la différence de la Martinique qui permit de la sorte le maintien de son encadrement "béké") et la quasi-totalité de la Guadeloupe sucrière passa sous le contrôle de grandes sociétés métropolitaines, quelques "békés" martiniquais s'insinuant dans les interstices.

Alors se constituèrent 3 immenses domaines sucriers chacun d'environ 15 000 ha: Beauport, Darboussier et le Crédit foncier colonial (Marquisat et Bonne-Mère).

La première moitié du 20e siècle fut cependant assez besogneuse, mais, dans les années 50 60, l'économie sucrière connut une extraordinaire embellie avec de pharamineux bénéfices exportés "illico presto" vers la Métropole alors que les Martiniquais, notamment les "békés", investissaient sur place.

Pour l'Histoire... du capitalisme français... il vaut la peine de noter que c'est grâce à la SIAPAP (Société industrielle et agricole de la Pointe-à-Pitre - Darboussier) que le baron Empain a pu prendre le contrôle de Schneider, cependant que grâce à leurs bénéfices les Sucreries d'Outremer (ex Crédit Foncier colonial) ont pu acquérir un certain nombre de sucreries en Métropole, devenant dès lors la Compagnie française de Sucrerie, puis fusionnant avec la Compagnie de Navigation Mixte et prenant le contrôle de Lesieur…

Beauport se sentit une âme plus guadeloupéenne: il investit une fraction significative de ses bénéfices dans la SEGT (Société d'Elevage de la Grande-Terre) qui fut un temps le plus important élevage laitier de la Communauté européenne et dans une usine de panneaux de bagasse... Ces deux entreprises, mal étudiées au départ, connurent l'échec.

Cependant, au moins pour certains, les plus gros bénéfices étaient encore à venir...

L'industrie sucrière fut frappée à mort par la "grande grève" de 1971 qui vit la naissance de l'UTA (Union des Travailleurs agricoles), ancêtre de l'UGTG, grève conjuguée avec une sécheresse considérable.

Dès lors, les compagnies métropolitaines entreprirent de se déhaler avec profit.

Dès 1969, la CFS (Compagnie française de Sucrerie) et la SIAPAP avaient établi un barrage "sanitaire" entre leurs actifs métropolitains et guadeloupéens en fusionnant leurs actifs guadeloupéens "productifs" dans la SIS (Société industrielle de Sucrerie) et la SAG (Société agricole de la Guadeloupe) cependant que la CFS (devenue Compagnie de Navigation Mixte) et la SIAPAP devenaient des sociétés financières métropolitaines... mais qui s'étaient conservé en Guadeloupe les surfaces susceptibles d'importantes plus-values immobilières.... plus-values exonérées, bien sûr, de toute imposition vu l'ancienneté de la détention de ces biens fonciers...

En 1981, après 10 ans de cheminement de l'industrie sucrière vers l'abîme, l'Etat vint leur donner un coup de pouce... Ce fut la prodigieuse opération de "Restructuration sucrière" qui permit à la SIS de vendre à l'Etat son fonds de commerce sucrier cependant que l'opération dite "de Réforme foncière" permit à la SAG de liquider, sans coup férir, tout le foncier ... qu'elle n'espérait pas valoriser rapidement au plan immobilier....

Ainsi se trouva anéanti l'essentiel du potentiel agricole productif guadeloupéen.

Mon ami Rosan Mounien, qu'on revoit ces temps-ci à la télé... portera témoignage, je pense, de ce que je me suis, avec lui, opposé avec constance aux principes délétères de cette "Réforme foncière"… Tout ce que j'ai pu obtenir, grâce à l'intervention de Lucien Bernier, c'est que, pour ne pas insulter l'avenir, les parcelles ne soient pas remises en pleine propriété mais restent dans les mains des fameux GFA ...

J'accuse de crime contre la Guadeloupe :

- Monsieur Jean-Yves Haberer (futur failli du Crédit Lyonnais) sous l'égide de qui fut menée la négociation ;

- Monsieur Pascal Lamy (actuel Directeur général de l'Organisation Mondiale du Commerce après avoir été Directeur général adjoint du Crédit Lyonnais) qui la mena à son terme ;

- Les ministres et les préfets de l'époque, retombés dans l'insignifiance ;

- Monsieur Amédée Huyghues-Despointes qui, malgré mes objurgations, se prêta à l'opération... il est vrai qu'en matière de spéculation immobilière il était lui-même expert ;

- Messieurs Pierre-Louis de la Rochefoucauld et Michel de Soye, dirigeants de la SIAPAP ;

- Mes camarades Jean Armengaud, Directeur de l'Agriculture et François Perez, Directeur de la Safer, exécuteurs inintelligents des basses œuvres ;

Alors, libérées qu'elles étaient de toute contrainte productive, la SIAPAP et la SAG connurent la période financièrement la plus faste de leur existence ; les extensions urbaines et autres de Baie-Mahault et des Abymes se faisant en quasi-totalité sur leurs terres, avec bien sûr, la rocade nord, le nouvel aérogare, les équipements de tout acabit...

Jamais l'évaluation du Service des Domaines ne fut acceptée de but en blanc ; toujours le juge de l'expropriation, souvent au niveau de l'appel, multiplia les évaluations par 5 ou par 10... créant des références pour les jugements ultérieurs...

Et tout cela, non imposable , investi pour l'essentiel dans des immeubles de bureau à Paris, en Ile-de-France et à Bruxelles.

La force injuste de la Loi disait Mitterand... Distinction classique pour l'ancien "Camelot du Roi" qu'il était, entre le "pays légal" et le "pays réel"...

Eh oui, Monsieur le Président... qui présidait à l'époque...On était sorti, le plus légalement du monde, du domaine du "colonialisme" pour entrer dans celui du pillage !

Et, pendant ce temps-là, que se passait-il à la Martinique?

Dans des proportions infiniment moindres, le même genre de bonne fortune immobilière advint à un certain nombre de "békés" au premier rang desquels Yves et Bernard Hayot au titre de leurs biens patrimoniaux (Héritiers Léon Hayot, usine du François) mais surtout du domaine du Lareinty qu'ils avaient acquis dans des circonstances assez rocambolesques…

Mais il y a une différence : c'est que ces bénéfices n'ont pas quitté la Martinique, que la famille Hayot s'en est servi pour bâtir un groupe d'activités hélas insuffisamment diversifié en dehors du commerce, mais qui reste basé en Martinique.

Je suis persuadé, pour ce qui me concerne, que, "béké" ou pas, ce sont au plan économique des patriotes martiniquais, que c'est une chance pour la Martinique et, espérons-le pour les Antilles, de disposer d'un groupe capitaliste aussi puissant.

Dans le cadre d'un partenariat public-privé que les ignares redécouvrent aujourd'hui... alors qu'il est né il y a 5000 ans, je crois qu'on peut négocier avec ces "Messieurs".... malgré tout un peu traumatisés par les évènements récents, ainsi qu'en fait foi le communiqué de Bernard Hayot, les voies et les moyens de développements nouveaux pour les Antilles et la Guyane...

Et, à tous ceux qui font profession de "bouffer du béké"... je ferais observer qu'ils ont un grand avantage sur les juifs, c'est qu'on n'a pas besoin de leur faire porter une étoile jaune ou de regarder leur zizi pour les reconnaître dans la foule !