REFERENDUMS AUX ANTILLES par Anne-Marie LE POURHIET Professeur de droit public à l'Université Rennes 1

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Revue du Droit Public et de la Science Politique - 2004 - n°3 - p.p. 659 à 679

REFERENDUMS AUX ANTILLES
"Nou pa ka acheté chat an sak" 1
par Anne-Marie LE POURHIET
Professeur de droit public à l'Université Rennes 1

SOMMAIRE
I. - UN IMBROGLIO JURIDIQUE
A. - Une révision trafiquée
B. - La quadrature du cercle
II. - LA MALADRESSE POLITIQUE
A. - La surenchère cohabitationniste
B. - La responsabilité et la sincérité absentes

Au Journal Officiel du 30 octobre 2003 ont été publiés quatre décrets du président de la
République datés du 29 octobre, décidant l'organisation de référendums statutaires en Martinique,
en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy. Chacun de ces décrets était précédé d'une
lettre du premier ministre, également datée du 29 octobre, proposant lesdites consultations au chef
de l'Etat en vertu d'une délibération en conseil des ministres du même jour.
Aux électeurs de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy était proposée la création sur leur
territoire d'une collectivité d'outre-mer régie par l'article 74 de la Constitution "se substituant à la
commune, au département et à la région". Cette rédaction était imparfaite car ces îles étant alors de
simples communes du département et de la région de Guadeloupe n'avaient pas elles-mêmes le
statut de département ou de région. Les décrets les concernant se bornaient à viser les délibérations
du conseil municipal de Saint-Martin en date 31 juillet 2003 et de Saint-Barthélemy en date 8 août
2003 mais n'indiquaient en eux-mêmes aucun élément du futur statut et ne donnaient surtout aucune
indication sur la question essentielle de savoir si les collectivités crées bénéficieraient ou non de
l'autonomie prévue au troisième paragraphe de l'article 74. Ce changement de statut, accompagné
d'une sécession d'avec la Guadeloupe "continentale" était revendiqué depuis longtemps pour des
raisons de pérennisation de privilèges fiscaux et a été approuvé par les Saint-Martinois à une
majorité de 76,17 % (44,18 % de participation) et par les Saint-Barthais à une majorité de 95,51 %
(78,71 % de participation).
On s'intéressera essentiellement ici aux consultations de Martinique et de Guadeloupe
"continentale" en n'abordant le cas des deux autres îles qu'à titre accessoire.
Les électeurs martiniquais et guadeloupéens étaient convoqués aux urnes par leurs décrets
respectifs pour donner ou refuser, en vertu des articles 72-4 et 73 alinéa 7 de la Constitution
révisée, leur consentement à la proposition suivante : "Approuvez-vous le projet de création en
Guadeloupe / en Martinique d'une collectivité territoriale demeurant régie par l'article 73 de la
Constitution, et donc par le principe de l'identité législative avec possibilités d'adaptations, et se
substituant au département et à la région dans les conditions prévues par cet article ?"
A cette question complexe et d'une orthodoxie syntaxique douteuse, les Antillais ont
répondu le 7 décembre, après que le Conseil d'Etat eût rejeté un recours contre le décret organisant
1 Proverbe créole utilisé en slogan par les partisans du "Non" : On n'achète pas un chat dans un sac
2
la consultation en Guadeloupe, par un magistral et synchrone double "Non". Le projet a en effet été
refusé par 72, 98 % des suffrages en Guadeloupe (50,34 % de participation) et par 50,48 % des
suffrages en Martinique (43,94 % de participation).
Largement ignorées par les médias hexagonaux2, qui ne semblent s'être réveillés le 8
décembre que sous l'effet de la "double gifle", et délaissés par les leaders politiques nationaux3, ces
consultations étaient pourtant aussi importantes sinon plus que le scrutin corse du mois de juillet
précédent et concernaient une population près de quatre fois plus importante. La raison de ce
désintérêt ne tient pas seulement au traditionnel "loin des yeux, loin du coeur" mais aussi à la
troublante discrétion dont a fait preuve le gouvernement dans cette affaire contrairement à son
habituelle communication tous azimuts4.
Quoiqu'il en soit les résultats du 8 décembre 2003 apparaissent comme la conséquence
naturelle d'un imbroglio juridique (I) doublé d'une maladresse politique (II)
I. - UN IMBROGLIO JURIDIQUE
La question complexe et lacunaire posée aux électeurs antillais était l'aboutissement obligé
d'une réforme constitutionnelle qui, à vouloir tailler sur mesure le moindre détail (A), a enfermé le
gouvernement dans la quadrature du cercle (B)
A. - Une révision trafiquée
A la traditionnelle architecture de l'outre-mer français (1) la révision constitutionnelle du 28
mars 2003 a substitué une fausse alternative (2) pour des raisons de pure stratégie politique (3).
1. L'outre-mer français se décomposait traditionnellement en deux types de catégories
juridiques bien distinctes.
Les territoires d'outre-mer (TOM), correspondant à l'idée coloniale du "droit à la
différence", avaient chacun leur organisation administrative propre tandis que les lois nationales ne
s'y appliquaient que sur mention expresse en vertu du vieux principe dit de "spécialité législative".
A défaut de norme nationale applicable la matière était réglée par délibération de l'assemblée locale
conservant le caractère d'acte administratif soumis au contrôle du juge ordinaire. Les départements
d'outre-mer à l'inverse, correspondant à l'idée républicaine d'assimilation, avaient, comme les
régions d'outre-mer qui leur ont été ajoutées en 1982, une organisation administrative identique à
celles de leurs homologues métropolitains tandis que les lois nationales s'y appliquaient d'office, le
tout sous réserves de "mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière". Droit à
l'égalité et droit à la différence se répartissaient ainsi de façon fort cohérente entre les articles 73 et
74 de la Constitution.
Deux trouble-fête apparents étaient cependant déjà venus se faufiler entre les deux termes
de l'alternative à la suite des atermoiements statutaires de Mayotte et de Saint-Pierre et Miquelon.
Les Mahorais avaient en effet refusé, lors d'une consultation statutaire organisée en 1976 à
la suite de leur rejet massif de l'indépendance, de conserver le statut de TOM5. Le gouvernement
qui ne voulait surtout pas leur accorder celui de DOM, s'était alors prudemment contenté de la
dénomination neutre de "collectivité territoriale" qui camouflait, en réalité, le maintien d'un TOM
puisque l'organisation particulière et la spécialité législative était maintenues. Le prétendu nouveau
statut de "collectivité départementale" issu de la loi du 11 juillet 2001 ne change non plus rien à
2 A l'exception notable de L'express et in fine du Figaro
3 A l'exception, notable également, de François Bayrou
4 E. Conan, Antilles : troublant scrutin, L'Express, 27 novembre 2003
5 A.M. Le Pourhiet, La Constitution, Mayotte et les autres, cette revue, 2000, n°3, p. 883
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l'affaire si ce n'est que la dénomination retenue tend à rassurer les Mahorais sur leur évolution vers
la départementalisation. Mayotte constitue donc une fausse exception à la summa divisio puisqu'il
s'agit en réalité d'un TOM sans le nom.
Quant à Saint-Pierre et Miquelon, il s'agit aussi d'une fausse exception mais en sens inverse.
Ayant quitté le statut de TOM pour celui de DOM en 1976 pour des raisons politiques internes
tenant à l'assimilation sociologique et culturelle évidente de sa population, l'archipel s'est cependant
heurté à de graves menaces économiques pesant sur son activité de pêche en raison de son
intégration corollaire au territoire fiscal et douanier de la communauté européenne. C'est donc pour
pouvoir continuer à relever du régime européen des Pays et territoires d'outre-mer (PTOM) que
Saint-Pierre a finalement du abandonner le statut de DOM. Mais pour ne pas devoir revenir la tête
basse à celui de TOM, inadapté au niveau interne, on a préféré, là encore, choisir la dénomination
de "collectivité territoriale " qui cache cependant, du point de vue du droit interne, le maintien du
régime d'assimilation législative adaptée. Ce n'est cependant plus l'article 73 de la Constitution
mais l'article 22 de la loi statutaire du 11 janvier 1985 qui prévoit cette assimilation, le niveau
hiérarchique de la garantie est donc moindre que celle des quatre DOM restants.
Sous réserves de ces fausses exceptions plus terminologiques que juridiques6, l'alternative
DOM/TOM consacrée par les anciens articles 73 et 74 avait le mérite de la clarté et de la cohérence
et permettait un structuration bénéfique des identités entre les "égaux" et les "différents".
2. Mais la révision du 28 mars 2003 a bouleversé cette distinction cohérente en brouillant
les catégories tout en prétendant les maintenir.
L'article 74 est, en effet, plus hétéroclite que jamais, tandis que l'article 73 s'est diversifié et
que la distinction entre les deux régimes s'efface dans la brume constitutionnelle.
Pour motiver la refonte de l'article 74 le gouvernement a curieusement prétexté que la
catégorie des TOM aurait perdu toute homogénéité7. L'affirmation a de quoi surprendre puisque,
par définition, chaque TOM ayant son statut particulier et sa dose plus ou moins importante
d'application du droit commun, ladite catégorie a toujours été par essence hétérogène. De plus on
ne voit pas quelle évolution aurait fait perdre son homogénéité à la catégorie puisque celle-ci s'est
seulement bornée à perdre des unités ralliant soit l'indépendance (Comores, Afars et Issas), soit les
DOM (Saint-Pierre et Miquelon en 1976), soit une dénomination de collectivité territoriale
(Mayotte), soit un POM (pays d'outre-mer) prétendument transitoire (Nouvelle- Calédonie). La
catégorie s'était donc rétrécie mais pas dénaturée pour autant. En revanche, le nouvel article 74 est
assurément plus hétérogène que le précédent puisqu'il inclut maintenant Saint-Pierre et Miquelon
pratiquement assimilé, Mayotte en assimilation annoncée, Wallis et Futuna en statu quo, Saint-
Martin et Saint-Barthélemy en duty free et la Polynésie en congé du pacte républicain. De surcroît,
les collectivités de l'article 73 qui voudraient à l'avenir franchir le prétendu Rubicon juridique
séparant les deux articles y sont désormais expressément invitées par l'article 72-4 et l'article 74
instaure lui-même explicitement une distinction entre les collectivités "qui sont dotées de
l'autonomie" et les autres, admettant ainsi au moins deux grandes catégories en son sein.
Mais le nouvel article 73 n'est pas en reste. En ôtant la condition de nécessité des mesures
législatives et réglementaires d'adaptation, en permettant désormais aux assemblées locales ellesmêmes
de décider ces adaptations au lieu et place des autorités de la République et en ajoutant
encore un second pouvoir normatif dérogatoire en matière législative simplement conditionné par la
formule à tout faire "pour tenir compte de leurs spécificités", le pouvoir constituant a évidemment
vidé le principe d'assimilation de son sens8. Si l'on ajoute le pouvoir local d'expérimentation qui
leur est également applicable, les collectivités de l'article 73 ne bénéficient pas moins de quatre
6 auxquelles il faut ajouter le cas particulier des terres australes et antarctiques qui, n'ayant pas de population sédentaire,
étaient abusivement intégrées dans les collectivités territoriales et dotées du statut de TOM
7 Explications du ministre de l'outre-mer, Débats, Sénat, séance du 6 novembre 2002
8 A.M. Le Pourhiet, A propos du nouvel article 73 de la Constitution, RFDA, 2003, n°5, p. 890
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habilitations à déroger au droit commun. Il devient donc difficile de continuer à parler d'identité
législative à leur sujet. De surcroît l'alinéa 7 de l'article 73 permet aussi de les soustraire à
l'organisation administrative traditionnelle en prévoyant la possible substitution au département et à
la région d'outre-mer d'une collectivité à statut particulier qui a précisément fait l'objet des deux
référendums du 7 décembre. Le nouvel article 73 amorce donc à la fois la sortie du principe
d'identité législative et la création d'une organisation particulière, c'est à dire les deux éléments
jusque là constitutifs du régime des TOM. Il est clair que le cumul d'une large utilisation des
possibilités de dérogation législative et de la création d'une collectivité à statut particulier aux
compétences étendues permettrait de placer une collectivité soumise à l'article 73 sous un régime
d'autonomie plus poussé que celui des collectivités de l'article 74 précisément non dotées de
l'autonomie. C'est dire que le prétendu maintien de la summa divisio martelé par le gouvernement
est un leurre et que l'article 73 permet désormais d'aboutir à un différencialisme juridique et une
autonomie plus importants que ceux de certaines collectivités de l'article 74. C'est exactement ce
que le Conseil d'Etat avait observé dans son avis sur le projet de révision constitutionnelle en
mettant en doute l'utilité de la nouvelle classification9.
3. Il reste à savoir précisément pourquoi le gouvernement s'est ainsi attaché à brouiller les
catégories tout en prétendant cependant les maintenir fermement.
Cet artifice est tout sauf innocent et ne révèle pas une simple confusion intellectuelle, il
résulte d'un calcul politique délibéré manquant singulièrement de transparence et de franchise.
Résolu à satisfaire les exigences de la "Déclaration de Basse-Terre" rédigée par les présidents des
conseils régionaux de Guadeloupe, Guyane et Martinique10, parmi lesquels le sénateur Lucette
Michaux-Chevry, le gouvernement souhaitait absolument doter ces collectivités d'un statut
d'autonomie. Le ministre de l'outre-mer ne manquait d'ailleurs pas une occasion de faire l'apologie
du "modèle" polynésien devant les milieux économiques des départements américains. S'étant
cependant engagé, au nom de l'impératif démocratique11, à ne rien faire sans la consultation des
populations concernées, le Président de la République se trouvait contraint d'organiser des
référendums dont le résultat positif, compte tenu des écarts de préoccupation entre les citoyens et
leurs élus, était loin d'être acquis. Le ministre et les élus concernés se trouvaient donc dans une
situation délicate où il leur fallait faire ratifier un statut d'autonomie par une population rétive et
méfiante pour une partie de laquelle le simple numéro 74 évoque le statut de TOM et le régime
colonial. En outre, les élus eux-mêmes s'étaient inquiétés de ce que l'autonomie de l'article 74 ne
conduise à une possible remise en cause de l'égalité sociale avec la métropole et surtout à une
expulsion du régime européen des régions ultra-périphériques financièrement beaucoup plus
avantageux que celui des PTOM. Pour rassurer la population et lever ces hypothèques le
gouvernement a donc eu l'idée de manipuler l'article 73 pour y introduire l'autonomie sans le dire.
Dans un premier temps on révise l'article 73 pour déroger à l'identité législative sans que les
populations soient consultées sur ce point pourtant essentiel et, dans un second temps, on leur
propose une organisation administrative particulière dont on minimise délibérément la portée en
insistant sur le fait que la nouvelle collectivité restera soumise à l'article 73 dont on omet
soigneusement de rappeler qu'il vient d'être considérablement altéré.
Enfin, pour rassurer complètement les populations et notamment les Réunionnais qui
avaient démontré, lors de l'adoption de la loi d'orientation de l'outre-mer du 13 décembre 2000, leur
farouche détermination à maintenir le statu quo et leur capacité de mobilisation contre la bi-
9 Rapport annuel d'activité du Conseil d'Etat, EDCE, 2003, n°54, p. 56
10 Déclaration finale de la réunion des présidents de région Guadeloupe-Guyane-Martinique, "Le courage politique au
service du développement", 1er décembre 1999
11 Discours du Président de la République à Madiana (Martinique), 11 mars 2000
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départementalisation et l'institution du "congrès"12, le gouvernement a cru opportun de recueillir le
consentement et pas seulement l'avis des électeurs. Pour montrer sa bonne volonté démocratique le
constituant a donc prévu un référendum de ratification non seulement pour passer du régime de
l'article 73 à celui de l'article 74 et inversement, mais aussi pour substituer une collectivité unique
au département et à la région et même, tant qu'à faire, pour instaurer simplement une assemblée
délibérante commune à ces deux collectivités.
On se trouve ainsi dans une situation juridique incohérente dans laquelle les référendums
statutaires métropolitains (en Corse par exemple) sont organisés par une loi et sont purement
consultatifs, alors que tous les référendums touchant les collectivités ultramarines de l'article 73 (y
compris l'introduction d'une nouvelle collectivité issue de l'article 74, dans le cas d'une future
départementalisation de Mayotte par exemple) sont organisés par un décret et ont un caractère
décisionnel et qu'en revanche aucune consultation n'est prévue pour un changement de statut au
sein de l'article 74, y compris pour passer d'un statu quo à un régime d'autonomie. C'est ainsi qu'il
faudrait par exemple recueillir à nouveau le consentement des Antillais pour instaurer simplement
une assemblée commune gérant le département et la région tandis que les Polynésiens n'ont même
pas eu le droit d'émettre un simple avis sur leur nouveau statut qui se rapproche pourtant
dangereusement de celui de la Nouvelle-Calédonie! La désinvolture avec laquelle a été conçue cette
révision constitutionnelle et notamment l'absence évidente de coordination entre les dispositions
nationales et ultramarines est absolument stupéfiante. On a tout simplement "plaqué" le texte
ultramarin, rédigé complètement à part rue Oudinot, sur le texte national, sans se soucier de mise en
cohérence de telle sorte qu'au lieu de simplifier et d'ordonner les statuts des collectivités françaises,
on y a introduit plus de désordre et d'irrationalité encore. Cette méthode a eu pour effet de
provoquer le fameux "amendement Virapoullé" introduisant dans l'article 73 un alinéa 5 qui exclut
la Réunion du bénéfice de l'un des deux pouvoirs normatifs locaux en matière législative et, surtout,
constitutionnalise le statut départemental et régional de l'île. Le bilan de toutes ces manoeuvres
juridiques est donc particulièrement cacophonique13.
Quoiqu'il en soit, le choix du référendum décisionnel pour les collectivités de l'article 73
exposait le gouvernement à une difficulté juridique majeure consistant à concilier l'impératif de
clarté et de loyauté de la consultation et le nécessaire respect de la souveraineté nationale et donc
de la compétence parlementaire. C'est cette quadrature du cercle que le Conseil d'Etat allait devoir
tenter de résoudre dans sa décision du 4 décembre 2003 rendue à trois jours du scrutin14.
B. - La quadrature du cercle
Dans son avis du 10 octobre 2002 sur le projet de révision constitutionnelle le Conseil d'Etat
n'avait pas manqué de relever une grave anomalie : l'exigence préalable du consentement d'une
population locale à une réforme statutaire qui relève de la compétence du législateur constitue une
atteinte à la souveraineté nationale consacrée par l'article 3 de la Constitution. Le Conseil d'Etat
avait donc préconisé de remplacer ce consentement par un avis comme l'avait d'ailleurs prévu
précédemment la loi d'orientation pour l'outre-mer (article L.5916-1 du Code général des
collectivités territoriales) avec l'aval du Conseil constitutionnel. Le gouvernement a cependant
décidé d'ignorer l'avis du Palais-Royal sur ce point comme sur d'autres et le parlement a ratifié ce
choix aussi imprudent qu'inutile (1). Mais le Conseil d' Etat devait, en quelque sorte, se venger par
la suite dans ses avis ultérieurs et sa fonction contentieuse (2)
12 A.M. Le Pourhiet, Départements d'outre-mer : l'assimilation en questions, Les cahiers du Conseil constitutionnel,
2002, n°12, p.108
13 A.M. Le Pourhiet, Vous avez dit "bazar" ? Le Figaro, 29 novembre 2002
14 CE, 4 décembre 2003, M. Feler, req. n°262009, concl. Mme Mitjavile, rapp. Mlle Herry
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1. Dès lors, en effet, que les électeurs sont appelés à donner un accord et non un simple avis
au projet qui leur est soumis, leur réponse négative à la question posée interdit au gouvernement de
faire adopter par le parlement le changement statutaire prévu, ce qui porte incontestablement
atteinte à la liberté des représentants de la Nation. Une "section du peuple" s'attribue donc ainsi
l'exercice de la souveraineté nationale au mépris de l'article 3 de la Constitution qui la réserve
exclusivement au peuple français et à ses représentants. Cet argument avait été très justement
invoqué par le sénateur Michel Charasse à longueur de débat parlementaire et évidemment repris
dans la saisine sénatoriale contre la loi constitutionnelle qui dénonçait l'atteinte ainsi portée à la
forme républicaine du gouvernement15.
Mais s'il est certain que le législateur ne pouvait aller à l'encontre d'une réponse négative des
électeurs, il restait à savoir quel serait son degré de liberté dans le cas contraire. En effet, dans
l'hypothèse où les électeurs approuvent le projet proposé, le législateur ne peut ensuite en adopter
un différent qui n'aurait donc pas été soumis à la consultation populaire. En cas de vote favorable
les autorités de la République ne sont sans doute pas tenues de donner suite au processus amorcé
qu'elles peuvent donc abandonner (compétence discrétionnaire au premier degré) mais si elles
décident de le poursuivre elles sont alors contraintes de le faire dans le sens et selon les modalités
qui ont fait l'objet du consentement populaire (compétence liée au second degré) sauf à renouveler
la consultation. Le législateur conserve donc sa liberté d'agir ou de ne pas agir mais, en cas d'action,
il perd le choix du contenu de l'acte préalablement dicté par la population locale. Il y a donc bien
une liaison au second degré de la compétence législative du parlement et une lésion conséquente de
la souveraineté nationale.
Cette dérogation à l'article 3 ayant cependant été délibérément voulue par le pouvoir
constituant dérivé il fallait et il suffisait d'en prendre acte, quels que soient les regrets que l'on
puisse éprouver à l'égard des multiples trahisons de la tradition républicaine par les dirigeants
contemporains. Comme l'indique fréquemment le Conseil constitutionnel dans une formule
récemment réaffirmée au sujet de la contrariété entre le pouvoir d'expérimentation local et le
principe d'égalité devant la loi "rien ne s'oppose, sous réserve des prescriptions des articles 7, 16 et
89 de la Constitution, à ce que le pouvoir constituant introduise dans le texte de la Constitution des
dispositions nouvelles qui, dans les cas qu'elles visent, dérogent à des règles ou principes de valeur
constitutionnelle"16. Sans doute peut-on affirmer, comme l'ont fait les sénateurs auteurs de la
saisine, que la loi constitutionnelle est précisément contraire à l'article 89 qui prohibe les atteintes à
la forme républicaine du gouvernement. Mais le Conseil constitutionnel ayant jugé qu'il n'était pas
compétent pour contrôler les lois constitutionnelles, même adoptées par le congrès, on ne voit pas
quel autre juge pourrait se permettre de le faire à sa place17. En outre, les révisions ayant abouti à la
rédaction du titre XV de la Constitution sur les institutions européennes et à l'article 53-2 sur la
juridiction de la cour pénale internationale ont bien eu pour objet et pour effet de surmonter les
décisions du Conseil ayant préalablement jugé que les traités dont elles permettent la ratification
portent atteinte aux "conditions essentielles de la souveraineté nationale". On peut donc estimer que
les nouveaux articles 72-4 et 73 alinéa 7 de la Constitution portent atteinte à ces mêmes conditions
d'exercice au profit, cette fois, de collectivités infra-étatiques, et que "rien ne s'y oppose".
L'évaporation de la souveraineté nationale par le bas comme par le haut est au demeurant tout à fait
conforme à l'orientation de Jean-Pierre Raffarin et de la majorité sénatoriale vers l'Europe des
régions et l'affaiblissement de l'Etat-Nation.
Le gouvernement aurait donc logiquement très bien pu, sur le fondement des nouvelles
dispositions constitutionnelles, soumettre aux électeurs antillais un projet de statut de la future
15 Débats, Sénat, séances du mardi 5 novembre et du mercredi 6 novembre 2002
Saisine du Conseil constitutionnel par plus de 60 sénateurs en date du 19 mars 2003
16 n° 2003-478 DC du 30 juillet 2003, Loi organique relative à l'expérimentation locale
17 n°2003-DC du 26 mars 2003, Loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, cette
revue, 2003, n°3, p. 739
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collectivité territoriale suffisamment complet pour qu'ils puissent se prononcer en toute
connaissance de cause. Mais il a cependant préféré suivre, cette fois, l'avis du Conseil d'Etat
préconisant d'en dire le moins possible dans la question posée de façon à respecter au maximum la
compétence du législateur. Ce faisant, c'est évidemment la clarté et la loyauté de la consultation qui
devaient succomber.
2. L'organisation précipitée des quatre référendums antillais devait conduire à une situation
assez baroque dans laquelle le gouvernement ne sachant pas interpréter le texte médiocre qu'il avait
lui-même rédigé au mépris de l'avis négatif du Conseil d'Etat, en arrivait cependant à consulter
celui-ci sur le mode d'emploi de sa mauvaise oeuvre. Plusieurs questions de procédure et de fond se
posaient en effet.
a. Sur la procédure, les articles 72-4 et 73 sont si mal écrits qu'on a peine à savoir si la
nécessité pour le gouvernement de faire devant chaque assemblée parlementaire une déclaration
suivie d'un débat s'impose seulement pour les changements de régime de l'article 73 vers l'article 74
(cas de Saint-Barthélemy et Saint-Martin) ou aussi pour les changements de statut à l'intérieur de
l'article 73 (cas de la Guadeloupe et de la Martinique). L'article 73 alinéa 7 prévoyant la
substitution d'une collectivité à statut particulier au département et à la région renvoie en effet aux
"formes prévues au second alinéa de l'article 72-4", lequel ne vise que les changements de régime!
Le gouvernement ayant finalement décidé, après consultation du Conseil d'Etat, de faire une
déclaration sur chaque consultation, on en déduira que le Conseil d'Etat a retenu l'interprétation
maximale exigeant une déclaration dans tous les cas de figure18. Mais il restait encore une autre
question à résoudre concernant la date desdites déclarations. Il paraît pour le moins évident que des
référendums décisionnels amputant les assemblées de leur liberté normative doivent leur être
présentés pour en débattre avant que le président de la République ne signe les décrets les décidant.
Mettre la représentation nationale devant sa servitude accomplie n'est guère convenable du point de
vue démocratique, à supposer que la démocratie nationale importe encore dans un pays où la
consultation du peuple français sur son devenir n'est plus jugée nécessaire ni souhaitable. On peut
supputer que le Conseil d'Etat aura conclu à la nécessité de saluer César avant de le poignarder
plutôt qu'après, mais le temps manquant au gouvernement, pressé par ses commanditaires locaux,
c'est le choix inverse qui fût cependant adopté. Les consultations ont été décidées par décrets du 29
octobre et les déclarations devant les chambres ont été faites le 7 novembre. Le recours déposé
contre le décret décidant le référendum en Guadeloupe n'a pas évoqué ce moyen de procédure qu'il
eût pourtant été intéressant de voir examiner au contentieux.
Une question de forme a également été négligée par les requérants, concernant le
contreseing des décrets présidentiels décidant la consultation. Ceux-ci ne comportaient en effet que
les contreseing du premier ministre et du ministre de l'outre-mer alors qu'on est en droit de penser
que le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales fait partie des "ministres
responsables" auxquels incombe à titre principal la préparation et l'application de ces décrets en
vertu de l'article 19 de la Constitution. Le Conseil d'Etat ne s'y est d'ailleurs pas trompé en décidant
que ses décisions Feler et X. seraient notifiées aux requérants ainsi qu'"au Premier ministre, au
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales et au ministre de l'outre-mer".
Sur la question des délais très brefs (cinq semaines) séparant la publication des décrets de la
consultation populaire, le Conseil d'Etat a jugé qu'ils ne constituaient pas un obstacle à l'exercice
d'un recours, ce qui mériterait certainement discussion s'agissant de simples électeurs n'ayant
manifestement pas le temps de peaufiner leur argumentation, de rédiger correctement leur requête
et de repérer tous les moyens utiles. En outre, le Conseil d' Etat a rendu le 14 janvier 2004 une
étrange décision rejetant le recours de M. Frank X contre le décret organisant le référendum à
Saint-Martin au motif que les résultats de la consultation qui a eu lieu le 7 décembre ont été
18 C'est effectivement l'avis du Conseil d'Etat que le ministre de l'outre-mer a reconnu avoir suivi sur ce point dans sa
déclaration du 7 novembre devant l'Assemblée Nationale
8
proclamés le 8, que les conclusions du requérant "sont devenues sans objet" et qu'il n'y a donc pas
lieu de statuer sur sa requête19. La requête de M. X ayant été enregistrée le 28 novembre 2003 alors
que celle de M. Feler avait été enregistrée les 21 (requête sommaire) et 24 (mémoire ampliatif), on
voit mal sur quoi repose cette discrimination non motivée dans le traitement des recours. La
décision X n'est-elle pas justement de nature à démontrer que les conditions d'organisation de la
consultation ne permettaient pas de respecter le droit au procès équitable ?
b. Sur le fond, deux problèmes essentiels se posaient.
- Tout d'abord, l'organisation simultanée des référendums à Saint-Barthélemy, à Saint-
Martin et en Guadeloupe "continentale" soulevait une question épineuse puisque les électeurs des
deux premières collectivités devaient, au même moment, se prononcer à la fois sur leur maintien
dans la Guadeloupe et sur l'avenir de celle-ci. En cas de victoire du "Oui" dans les deux îles
(effectivement réalisée) et donc de sécession avec l'île-mère on aboutit à cette situation choquante
où des électeurs qui se prononcent majoritairement pour leur "indépendance" contribuent cependant
à peser sur le destin de ceux dont ils se séparent. Cette anomalie démocratique n'a cependant pas
emporté la conviction du Conseil d'Etat qui a évacué l'argument fort rapidement et
superficiellement.
- Ensuite, le décret décidant les consultations statutaires devait, comme les lois qui ont
toujours organisé ces référendums jusqu'à présent, satisfaire la "double exigence de clarté et de
loyauté" imposée par la jurisprudence constitutionnelle. S'agissant de projets opérant d'importants
bouleversements statutaires à haute charge symbolique, ces impératifs supposent que soient fournis
aux électeurs, en quantité et en qualité, les éléments essentiels du statut de la future collectivité. On
ne demande pas à un individu d'épouser une personne qu'il n'a jamais vue sauf à entacher
précisément le mariage d'un vice du consentement. Or, suivant vraisemblablement les indications
consultatives du Conseil d'Etat qui transparaissent au contentieux dans les conclusions du
commissaire du gouvernement Mitjaville, le gouvernement a fait le choix incroyable de demander
aux électeurs des quatre îles concernées de consentir les yeux fermés à un objet juridique non
identifié ! De crainte, sans doute, d'anticiper sur la compétence du législateur, donc d'attenter à la
souveraineté nationale et d'encourir peut-être une censure ultérieure de la loi statutaire par le
Conseil constitutionnel, il fût seulement demandé aux électeurs de Guadeloupe et de Martinique
s'ils approuvaient la substitution à leur département et à leur région d'une collectivité dont ils
n'avaient le droit de connaître que le régime législatif mais pas un seul élément de l'organisation
statutaire. De surcroît le nouvel article 73 prévoit que les assemblées des collectivités qu'il régit
peuvent être habilitées à adapter elles-mêmes les lois nationales "dans les matières où s'exercent
leurs compétences" de telle sorte que l'ignorance des compétences de la future collectivité ne
permet pas de mesurer l'ampleur des dérogations possibles au principe d'identité législative. Autant
dire qu'il était demandé aux populations de sauter dans le vide, ce que leur intuition et leur
méfiance légendaires ne les poussent pas à faire très spontanément.
L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 4 décembre 2003, conformément aux conclusions de
Mme Mitjaville confirme le piège dans lequel s'est trouvé le gouvernement : ou il informait
suffisamment les électeurs et contrariait l'article 3 de la Constitution, ou il ne leur fournissait même
pas les grandes lignes de leur futur statut et il violait l'exigence de clarté et de loyauté qui, à défaut
de reconnaissance par le juge administratif, l'exposait à la sanction populaire.
Après avoir fort justement estimé qu'il ne lui appartient pas d'apprécier l'opportunité de la
décision d'organiser une consultation ni la date de celle-ci mais qu'il doit en revanche vérifier
(comme le fait le Conseil constitutionnel sur les consultations décidées par le législateur) que le
décret présidentiel "n'est pas entaché d'un vice pouvant affecter la régularité ou la sincérité de la
consultation à venir", le Conseil d'Etat, écartant l'application intégrale de la théorie de l'acte de
gouvernement, a accepté d'examiner les moyens appropriés. Il a d'abord jugé superficiellement et
de façon un peu perverse que la question posée était suffisamment précise pour indiquer aux
19 CE, 14 janvier 2004, M.X req. n°262229
9
électeurs la portée exacte de leur vote. Puis il a ajouté que la seule présence dans les visas du décret
d'une mention des délibérations locales approuvant le document d'orientation du gouvernement ne
suffisait pas à altérer le caractère loyal et clair de la consultation dès lors que la question posée ellemême
ne mentionne pas ledit document et ne porte que sur le principe de la création d'une nouvelle
collectivité sans définir les modalités de mise en oeuvre du changement de statut. Le Conseil d'Etat
en est donc arrivé à considérer que la consultation ne pouvant en aucun cas lier les mains du
législateur sur le contenu du statut, les électeurs devaient être simplement mis à même de
comprendre qu'ils n'ont à consentir qu'au maintien du régime législatif de l'article 73, dont ce même
Conseil d'Etat a cependant reconnu, dans l'exercice de sa fonction consultative, que la distinction
avec l'article 74 était devenue inutile ! En somme, le juge administratif considère que l'impératif de
clarté est d'autant mieux respecté que la question est obscure. Tout se passe comme s'il expliquait
aux électeurs que ce qui est tout à fait clair c'est qu'ils ne doivent rien savoir de l'organisation
institutionnelle de la collectivité proposée et qu'il leur appartient donc de décider s'ils acceptent ou
non de renoncer à leur département et à leur région pour un avenir institutionnel inconnu.
Les conclusions du commissaire du gouvernement éclairent parfaitement le système pervers
ainsi mis en place. Constatant que les électeurs des collectivités ultramarines disposent désormais
d'un droit de veto sur leur évolution institutionnelle mais que la décision appartient au parlement,
Mme Mitjavile estime qu'il convient de "rechercher un équilibre, la consultation des électeurs de la
collectivité ne devant pas empiéter sur les prérogatives du parlement en définissant par exemple un
projet tout arrêté que le parlement n'aurait plus qu'à valider". Elle ajoute que le président de la
République "non seulement pouvait mais devait" s'abstenir de présenter aux électeurs un projet
précis et détaillé, sauf à empiéter sur les prérogatives du parlement. Le commissaire du
gouvernement invoque à l'appui de son argumentation la décision du Conseil constitutionnel rendue
en 1987 au sujet du référendum néo-calédonien20. Celui était cependant fort différent des
consultations de 2003 puisqu'il s'agissait d'un référendum d'auto-détermination sur lequel se greffait
une question statutaire. Les électeurs devaient, en effet, donner une réponse unique à une question
double : "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à l'indépendance ou demeure au sein de
la République française avec un statut dont les élément essentiels ont été portés à votre
connaissance ?" Une telle formulation ne pouvait que gêner les partisans du maintien dans la
République cependant hostiles au statut proposé. Le Conseil constitutionnel a jugé que cette
question était équivoque car elle "pouvait dans l'esprit des votants faire naître l'idée erronée que les
éléments du statut sont d'ores et déjà fixés, alors que la détermination de ce statut relève, en vertu
de l'article 74 de la Constitution, d'une loi prise après consultation de l'assemblée territoriale". La
difficulté tient ici au fait que l'article 53 de la Constitution exige bien de recueillir le consentement
des populations pour leur accession à l'indépendance mais qu'en revanche un tel consentement
n'était alors absolument pas prévu par la Constitution pour les seules consultations statutaires qui
devaient logiquement n'avoir qu'un caractère consultatif. C'est ce que le Conseil constitutionnel a
récemment rappelé au sujet de Mayotte en considérant que les autorités de la République peuvent
consulter les populations d'outre-mer intéressées "non seulement sur leur volonté de se maintenir au
sein de la République française ou d'accéder à l'indépendance, mais également sur l'évolution
statutaire de leur collectivité territoriale à l'intérieur de la République, mais que, toutefois, dans
cette dernière éventualité, lesdites autorités ne sauraient être liées, en vertu de l'article 72 de la
Constitution, par le résultat de cette consultation"21. Cette solution avait été clairement confirmée
dans la décision relative à la loi d'orientation pour l'outre-mer22. Sous l'empire des dispositions
constitutionnelles antérieures à la révision de 2003 il n'était donc pas possible de solliciter un
consentement des populations locales en dehors de l'auto-détermination, ce qui explique la décision
20 n°87-226 DC du 2 juin 1987, Consultation des populations calédoniennes
21 n°2000-428 DC - 4 mai 2000 - Loi organisant une consultation de la population de Mayotte
V. A.M. Le Pourhiet, La Constitution, Mayotte et les autres, cette revue, préc.
22 n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000
10
de 1987 dans laquelle le Conseil a seulement invalidé la partie de phrase "avec un statut dont les
éléments essentiels ont été portés à votre connaissance". Mais il n'en va plus de même aujourd'hui
puisque c'est désormais le constituant lui-même qui, dans sa remarquable errance, a clairement
voulu lier la compétence du parlement. C'est cette douloureuse réalité juridique que le Conseil
d'Etat ne semble pas vouloir admettre en tentant de revenir aux solutions antérieures. Mais en
voulant ainsi nier l'atteinte frontale à la souveraineté nationale commise par le constituant le
Conseil d'Etat contribue à accentuer des discriminations absurdes et le risque d'échec électoral.
En effet, sous l'empire des dispositions constitutionnelles antérieures les Mahorais avaient
été invités à se prononcer sur "l'accord sur l'avenir de Mayotte signé à paris le 27 janvier 2000" et
disposaient donc d'un texte décrivant les grandes lignes des évolutions proposées et les étapes de
l'application progressive de droit commun. De même, sur le fondement de l'article 72-1 alinéa 3 du
nouveau texte constitutionnel, les Corses ont pu être consultés sur "les orientations proposées pour
modifier l'organisation institutionnelle de la Corse figurant en annexe de la loi n°2003-486 du 10
juin 2003" lesquelles fournissaient des indications relativement précises sur le nouveau statut
envisagé. On arrive donc à cette situation tout à fait aberrante où les électeurs auxquels est
seulement demandé leur avis ont le droit de connaître l'essentiel du statut projeté tandis que ceux
dont le consentement est sollicité n'ont le droit de ne rien savoir du tout ! Le droit constitutionnel
français semble avoir perdu la raison.
Enfin, le commissaire de gouvernement Mitjavile a aussi rappelé que la question posée aux
électeurs doit être neutre et non tendancieuse. Ce n’était pas tout à fait le cas en l’espèce puisque la
question indiquait que la future collectivité serait « régie par l’article 73 de la Constitution, et donc
par le principe de l’identité législative avec possibilités d’adaptations ». Ce dernier membre de
phrase a priori inutile est surtout inexact puisque l’article 73 ne prévoit plus seulement des
adaptations mais encore des possibilités supplémentaires de « dérogation » dont le Conseil d’Etat
lui-même a reconnu, dans sa fonction consultative, qu’elles malmenaient le principe d’identité
législative. Il y avait sans doute un élément tendancieux dans cette précision qui n’a cependant pas
été soulevé par le requérant mais que le juge n’a pas non plus voulu apercevoir.
Ainsi condamnés à se prononcer dans l'ignorance les électeurs ultramarins furent
évidemment enclins à sanctionner cette mascarade démocratique et à refuser, comme le
recommandait le slogan des partisans du "non", d'acheter un chat dans un sac.
II . - LA MALADRESSE POLITIQUE
L'imbroglio juridique dans lequel se sont empêtrées les consultations ultramarines n'était lui
même que l'aboutissement d'une surenchère institutionnelle entamée sous la cohabitation (A) et a
été aggravé par une absence de sincérité politique se traduisant par des attitudes et discours
contradictoires (B)
A. - La surenchère cohabitationniste
L'origine du "bougisme" institutionnel qui agitait les départements d'outre-mer remonte à la
cohabitation politique au sommet de l'Etat et s'inscrit dans un contexte de rivalité entre le président
Jacques Chirac et le premier ministre Lionel Jospin dans la perspective des élections présidentielles
de 2002.
La décentralisation en général a constitué un terrain particulièrement propice à
l'épanouissement de la surenchère cohabitationniste. Patrick Le Lidec a récemment montré, avec
beaucoup de justesse, comment l'offensive de Lionel Jospin contre le Sénat, en mai 1998, avait
d'abord déclenché une réaction de la majorité sénatoriale consistant à surinvestir dans une opération
de légitimation tendant à présenter le Sénat comme le garant et le sauveur des libertés locales face à
11
gouvernement "jacobin"23. Cette controverse entre la seconde chambre et le gouvernement Jospin a
fini par déclencher l'entrée en scène du président de la République jusqu'alors très peu porté sur les
questions d'organisation territoriale. C'est dans son discours de Rennes, en 1998, que le chef de
l'Etat s'est engagé dans l'arène locale en s'appropriant les thèses défendues par les leaders de la
majorité sénatoriale. A partir de cette date, la concurrence décentralisatrice n'a cessé de s'aiguiser
entre les deux têtes de l'exécutif, la Corse et l'outre-mer s'invitant également au menu et donnant
lieu à une rivalité particulièrement malsaine dont les populations locales risquaient de faire les frais
et le contribuable national de les payer.
Le gouvernement de Lionel Jospin avait, le 10 décembre 1998, commandé aux deux
parlementaires Claude Lise (sénateur, Martinique) et Michel Tamaya (député, La Réunion) un
rapport destiné à alimenter le contenu d'une future loi d'orientation pour l'outre-mer. Ce rapport ne
préconisait pas d'évolution institutionnelle particulière mais suggérait seulement de réunir, dans
chaque territoire, le conseil général et le conseil régional pour proposer des réformes
institutionnelles. Les présidents des conseils régionaux des trois collectivités d'Amérique (Lucette
Michaux-Chevry pour la Guadeloupe, Alfred Marie-Jeanne pour la Martinique et Antoine Karam
pour la Guyane) ont riposté en décembre 1999 par la fameuse "Déclaration de Basse-Terre"
réclamant, dans chacun des trois territoires américains, "une modification législative voire
constitutionnelle visant à créer un statut nouveau de Région d'Outre-mer". C'est cette déclaration,
prenant la future loi d'orientation de vitesse, qui devait devenir la référence de l'Elysée en la matière
et déboucher, à terme, sur les référendums du 7 décembre 2003.
Entre-temps, la loi d'orientation avait été adoptée le 13 décembre 2000 et la droite
parlementaire et "présidentielle" n'avait pas eu de mots assez durs pour dénoncer le procédé
effectivement contestable consistant à demander aux congrès locaux (réunions des conseillers
régionaux et généraux) de faire des propositions de réforme statutaire sans fixer de barrières
juridiques préalables et notamment sans indiquer si lesdites propositions devaient respecter la
Constitution en vigueur ou pouvaient supposer sa révision 24.
Il n'en demeure pas moins qu'une fois au pouvoir le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin
ne s'est pas vraiment écarté des méthodes de son prédécesseur et on a assisté, comme en Corse, à
une remarquable continuité dans la politique suivie. Le gouvernement a, en effet, fait réviser la
Constitution "sur mesure" pour s'adapter aux revendications passablement schizophrènes de
congrès antillo-guyanais dominés par les autonomistes et les indépendantistes et essayer à tout prix
de les faire ratifier par les populations locales25. De plus, une fois la révision effectuée, il fût
particulièrement étonnant de voir le gouvernement abdiquer ouvertement sa responsabilité en
avouant obéir aux ordres desdits congrès.
Au sentiment, partagé par bien d'autres Français et notamment les Corses, de n'avoir été,
dans le dossier de la décentralisation, que les jouets de stratégies personnelles et politiciennes aussi
bien nationales que locales, s'est ajouté chez les Guadeloupéens et les Martiniquais le trouble
provoqué par une manque criant de sincérité et de responsabilité gouvernementales.
B. La responsabilité et la sincérité absentes
Les attitudes, débats et discours qui ont précédé les référendums ont révélé une singulière
absence de collégialité et de responsabilité gouvernementales (1) aggravée par une accumulation de
manoeuvres et de non-dits (2)
23 Patrick Le Lidec, Pourquoi une nouvelle réforme de la décentralisation ? Modernisation politique et compétition
politique, Colloque du GRALE "Réforme de la décentralisation, réforme de l'Etat", 22 et 23 janvier 2004, Actes à
paraître
24 A.M. Le Pourhiet, Départements d'outre-mer : l'assimilation en questions, Les cahiers du conseil constitutionnel,
préc.
25 A.M. Le Pourhiet, Outre-mer à la carte : malaise dans la Constitution, Conflits Actuels, n°10, 2002, p.37
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1. L'un des constats les plus frappants des tribulations statutaires "domiennes" aura sans nul
doute été l'attitude du premier ministre et du gouvernement en général qui avaient manifestement
tenu à s'inscrire aux abonnés absents. Le ministre de l'outre-mer est, en effet, apparu complètement
seul, jamais le chef ni les autres membres du gouvernement n'ont daigné se manifester. Ce
phénomène s'était produit dès la conception du projet de révision constitutionnelle, le manque cruel
de coordination et d'arbitrage interministériels étant à l'origine de nombreux cloaques dans la
rédaction. Il semble que la revendication par le ministre d'être en charge d'un "domaine réservé" du
Président de la République sur lequel seul celui-ci et "son" ministre auraient droit de regard soit à
l'origine de la fuite des autres ministres. Sans doute l'outre-mer ne passionne t-il jamais vraiment
les leaders nationaux, mais c'est certainement la première fois que leur désintérêt à son égard prend
des proportions aussi caricaturales et inquiétantes. Lors des débats parlementaires sur la révision
constitutionnelle, cette attitude a suscité quelques échanges houleux. Le garde des sceaux ayant
délibérément quitté l'Assemblée Nationale au moment où étaient abordée la partie ultramarine du
texte, Mme Christiane Taubira n'a pas manqué de relever : " Nous avons ressenti une impression
désagréable, comme si le garde des sceaux considérait qu'au moment d'aborder les articles
concernant l'outre-mer, les choses sérieuses avaient déjà été réglées, et qu'il pouvait, par
conséquent, s'agissant de choses périphériques, nous laisser entre écorchés vifs et râleurs
impénitents, une ministre de l'outre-mer suffisant bien à l'affaire"26. Mais c'est le député René
Dosière qui s'est décidé à mettre "les pieds dans le plat" en dénonçant bruyamment et sans ambages
l'absentéisme des parlementaires métropolitains dans les débats concernant l'outre-mer et,
réciproquement, celui des parlementaires ultramarins dans les débats d'intérêt national27. Rappelant
que chaque député représente la Nation tout entière et non pas sa localité, il a conclu : "Cette
séparation entre les problèmes de l'outre-mer et ceux de la métropole aboutit souvent à ce que
décident seuls les députés domiens pour eux-mêmes (…) Vouloir que chaque département légifère
avec ses seuls élus, c'est risquer de méconnaître l'article 3 de la Constitution". En effet, on peut
d'ailleurs s'interroger sur le point de savoir si, au niveau gouvernemental même, le maintien d'une
structure spécifique issue de l'époque coloniale n'est pas responsable d'un certain communautarisme
ultramarin.
C'est précisément dans ce sens communautariste assez démagogique que le ministre de
l'outre-mer a traité le dossier, allant jusqu'à dénier à François Bayrou le droit de s'intéresser aux
référendums antillais parce qu'il est béarnais28 et appuyant une initiative douteuse de la radio Media
Tropical consistant à organiser en métropole un référendum informel réservé "aux citoyens
originaires des Antilles exclusivement"29!
Mais c'est à l'occasion de la déclaration suivie d'un débat effectuée devant les chambres que
le vide gouvernemental fût le plus sensible. Le premier ministre n'ayant pas jugé sa présence utile
alors que c'est "sur proposition du gouvernement" qu'il dirige que le président de la République est
censé décider les consultations, c'est encore le ministre de l'outre-mer, seul, qui a effectué la
déclaration gouvernementale. Celle-ci avait été organisée le vendredi 7 novembre, veille de weekend
prolongé du 11 novembre, devant des hémicycles déserts comportant à peine chacun une
dizaine de parlementaires. Le contenu de la déclaration a révélé une démission étatique qui n'a rien
à envier à celle du gouvernement précédent et n'est évidemment pas de nature à rassurer des
populations à ce point abandonnées par les responsables nationaux. Le ministre a en effet affirmé
que le rôle du gouvernement s'était limité à préparer et à mener une révision de la Constitution
"sans idée préconçue", qu'il n'était donc pas, en l'espèce, "porteur d'un quelconque projet" mais "se
bornait à prendre en considération celui élaboré par les élus". Il a ajouté : "Je le répète, le
26 Débats, Assemblée Nationale, 3ème séance du 26 novembre et 1ère séance du 27 novembre 2002
27 idem
28 Le Parisien, 29 novembre 2003
29 Le Monde, 6 décembre 2003
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gouvernement n'a pas de projet d'évolution institutionnelle ou statutaire pour l'outre-mer.(…) Mon
mandat est seulement de vérifier la conformité à la Constitution des propositions avancées. Il n'est
surtout pas de porter un jugement sur le fond, puisque cela relève de la responsabilité des élus.
Nous devons la respecter totalement". A une question concernant la façon dont lesdits élus avaient
adopté le document d'orientation visé par les décrets organisant la consultation, le ministre a aussi
répondu : "Je n'ai pas à me mêler de la façon dont les élus se sont mis d'accord pour approuver un
document d'orientation. (…) Ce n'est pas l'affaire du gouvernement". Les articles 20 et 21 de la
Constitution selon lesquels "le premier ministre dirige l'action du gouvernement" qui lui-même
"détermine et conduit la politique de la Nation" et "est responsable devant le parlement" se sont
manifestement noyés dans la mer Caraïbe.
On a déjà souligné comment le gouvernement précédent avait initié une
véritable contractualisation de l’organisation territoriale de la République en signant des
« accords » (de Nouméa, sur l’avenir de Mayotte ou de Matignon) avec des élus locaux, qu’il a
parfois publiés au Journal Officiel avant même leur soumission au conseil des ministres et au
parlement30. Mais le gouvernement actuel semble aller encore plus loin dans l’abdication de l'Etat
en reconnaissant se faire dicter la loi par des élus locaux et se contenter d’effectuer une sorte de
contrôle de constitutionnalité de leurs injonctions statutaires.
2. Cette neutralité affichée et destinée à éviter de porter la responsabilité officielle d'une
éventuel échec référendaire ne correspondait évidemment pas à la réalité. Le ministre de l'outre-mer
ne parvenait pas à camoufler son engagement en faveur d'une collectivité autonome et ne manquait
pas une occasion d'agresser les adversaires du projet ou même ceux qui tentaient simplement de
l'éclairer.
Tout un artifice langagier de type novlangue avait été mis en oeuvre pour éviter de désigner
les choses par leur nom et ne pas dire la vérité aux électeurs. On ne devait pas dire "changement de
statut" mais "évolution institutionnelle" ou "simplification administrative", il ne fallait pas non plus
parler de "référendum" mais seulement de "consultation". Les termes de "statut" et de "substitution"
firent, en Martinique, l'objet de gloses savantes par des experts. Certains feignaient de confondre le
régime législatif et le statut pour jurer qu'il ne s'agissait pas d'un changement de statut, tandis que
d'autres affirmaient doctement que la substitution n'emportait pas la suppression … Surtout la
manoeuvre principale consistait à faire croire à des électeurs qui n'avaient évidemment pas lu le
dernier alinéa de l'article 73 qu'il s'agissait seulement d'instaurer une "assemblée unique" en
omettant de préciser que le département et la région n'étaient pas maintenus. Le mot "collectivité à
statut particulier" n'était jamais prononcé par les partisans de la réforme jusqu'à ce que ses
adversaires commencent à s'emparer du texte constitutionnel et à le faire circuler. La décision du
Conseil d'Etat rendue le 4 décembre a mis un terme à ce petit jeu en qualifiant clairement l'objet de
la consultation de "changement de statut", le verdict terminologique et le poids des mots étaient
enfin tombés et ils ont certainement compté dans les résultats.
A cette tentative de masquer la suppression effective des collectivités départementale et
régionale s'ajoutait la volonté fort imprudente de nier les effets potentiels de ce changement de
statut sur l'appartenance de la Martinique et de la Guadeloupe à la catégorie européenne des régions
ultra-périphériques. Malgré les termes de l'article 299§2 du traité visant expressément les
"départements français d'outre-mer" et le souvenir cuisant de l'affaire de Saint-Pierre et Miquelon,
on feignait cependant d'oublier celle-ci et on s'attachait à prêcher l'indépendance du droit
communautaire par rapport au droit interne en citant des articles doctrinaux ciblés dont on éliminait
soigneusement les passages les plus nuancés ainsi que les références à la jurisprudence Hansen
(CJCE, 1978). Jamais ne furent affichées des conclusions plus tranchées affirmant par exemple :
"Le législateur adopta la solution de la collectivité territoriale à statut particulier qui suffit à rendre
30 A.M. Le Pourhiet, Nouvelle-Calédonie : la dernière mésaventure du positivisme, cette revue,1999, n°4, p.1021 ; La
Constitution, Mayotte et les autres, cette revue, 2000, n°3, p.897
14
le paragraphe 2 de l'ancien article 227 devenu 299 du traité de Rome à nouveau inapplicable à
l'archipel"31. Quand bien même il n'y aurait évidemment aucun effet d'automaticité immédiate entre
l'abandon du statut interne de DOM et l'inapplicabilité de l'article 299§2, il n'est pas très
responsable de minimiser les risques ni de taire les expériences passées aussi bien que les
divergences doctrinales sur la question.
A toutes ces contorsions tendant à rassurer les électeurs en trichant quelque peu s'ajoutait,
comme en Corse, le discours contradictoire du président de la République sur le statut
départemental. Après avoir déclaré en Martinique en mars 2001 que l'institution départementale
avait peut-être atteint ses limites, le président avait spectaculairement changé d'avis dans son
discours de Rodez prononcé en octobre de la même année devant tous les conseillers généraux de
France y compris de Corse, des DOM et même de Mayotte. Ce discours, confirmé à Rouen en
2002, faisait l'apologie du mode de scrutin cantonal et proclamait très solennellement : "Facteur
irremplaçable d'enracinement de la démocratie dans le territoire, le département est
incontournable". On comprend que les électeurs corses et antillais aient été quelque peu troublés
par un décret présidentiel leur proposant d'approuver l'exact contraire de la conviction de son
auteur. En Martinique les partisans du "non" déduisirent avec une certaine logique du discours de
Rodez que "Sa ki bon pou zoi bon pou kanna" (ce qui est bon pour les oies est bon pour les
canards) !
A cette cacophonie au sommet s'est aussi ajouté le fait que la Guyane, qui avait fait figure
de pionnière en matière de débat statutaire et qui constitue assurément la plus "spécifique" des
collectivités de l'article 73, était cependant privée de référendum pour la seule raison (non avouée)
que le secrétaire d'Etat au tourisme, Léon Bertrand, départementaliste convaincu, a réussi à faire
exclure sa collectivité de la consultation.
Enfin, le parti socialiste avait décidé de compléter cette exemplaire cohérence
gouvernementale en prônant très rationnellement le "Oui" en Martinique et le "Non" en
Guadeloupe…
Hormis la malfaçon juridique et la maladresse politique propres aux référendums
ultramarins, la similitude des résultats des consultations organisées en Corse et aux Antilles n'est
sans doute pas fortuite, les mêmes causes ayant probablement engendré les mêmes effets. Sans
vouloir les analyser ici de façon exhaustive on avancera simplement quelques hypothèses :
- les populations périphériques goûtent beaucoup moins que leurs élites les thèses
différencialistes et identitaristes qui tendent à les marginaliser et à les stigmatiser ;
- les sociétés insulaires comme les autres et même plus que les autres, compte tenu de leur
fonctionnement en vase clos et de leur sociologie politique de type clientéliste, hésitent à donner
des pouvoirs trop importants et concentrés à une classe politique qui ne leur inspire pas une totale
confiance notamment du point de vue du respect des libertés ;
- aux Antilles comme en Corse et partout en France le décalage entre le peuple et une élite
politique, intellectuelle et médiatique méprisante et donneuse de leçons tend à se creuser ;
- partout dans le monde les hommes n'apprécient guère d'être pris pour des imbéciles.
Sur le plan théorique, la question de l'articulation entre le référendum local et la démocratie
et la souveraineté nationales mériterait d'être réétudiée afin d'envisager, à l'occasion d'une
prochaine révision constitutionnelle (qui ne saurait tarder), une éventuelle révision de la révision
tendant au moins à remplacer les référendums de ratification ultramarins par des référendums
consultatifs.
31 O. Gohin, Institutions administratives, LGDJ, 4ème éd. 2002, p. 515
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