Lettre ouverte d'Amédée ADELAIDE à Monsieur YVES JEGO Secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-Mer

Lettre ouverte à Monsieur YVES JEGO
Secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-Mer
Pointe-à-Pitre, le 13 mars 2009

Monsieur le Ministre,

J'ai bien reçu votre courrier du 05/03/2009, évoquant les écrits que j'ai adressés à Monsieur le Président de la République, sous la forme d’une lettre ouverte.

Je regrette que l'analyse que j'y développe ait pu vous apparaître comme une mise en cause personnelle.

Mais, les fait sont là : et il n'y a d'ailleurs rien d'étonnant à ce qu’un ministre nouvellement installé, relayé par un préfet nouvellement nommé, soit décontenancé face à une situation atypique survenue outre-mer.

Ajoutons que les sources d'informations dont peut disposer le pouvoir sur les réalités locales sont actuellement évanescentes (des hauts fonctionnaires en perpétuel transit; et … un parti politique présidentiel en totale déshérence, au point de n’avoir pas émis un seul mot, un seul avis, sur une crise sociale aussi grave pour l’avenir du pays).

Vous avez donc, à l’évidence, pris le train des négociations, en méconnaissance :

- de l'engagement politique extrémiste, anti-démocratique, anti-capitaliste, et foncièrement anti-français des principaux dirigeants du LKP.

- de leur choix délibéré de la violence pour faire aboutir leur démarche (de la séquestration des négociateurs, à la promotion de malfaiteurs armés dans les rues et sur les barrages, avec les conséquences que vous avez pu découvrir).

- de l'absence, en conséquence, de tout désir de transaction crédible avec le patronat local, assimilé de manière abusive et raciste à la communauté békée, prétendument héritière des bénéfices de l'esclavage.

- des intentions souterraines des principaux dirigeants du mouvement, qui, non contents d'avoir su drainer l'adhésion populaire autour de problèmes réels, malheureusement laissés en friche par le pouvoir, s'attachent à des exigences salariales démagogiques, qui constituent le véritable piège; leur rejet par les acteurs économiques permettra à coup sûr d'entretenir indéfiniment des foyers d'agitation multiples; leur acceptation sous la contrainte déstabilisera sans coup férir les entreprises, l'emploi, et les collectivités locales directement ou indirectement impliquées dans le « deal » préparant le terrain pour une mainmise politique future (que ces mouvements n'ont jamais pu obtenir par les urnes).

Dès les premiers jours des négociations, vous avez donné l'impression de vouloir désamorcer la situation en contraignant les représentants locaux de l'État et le patronat à céder aux exigences du LKP, comme si la justesse de certaines revendications pouvait justifier le désordre et la violence; je ne présume pas de vos intentions profondes, mais vous êtes trop au fait de la chose politique pour ignorer combien l'impression première peut être décisive dans ce domaine.

La reprise, par vous même du terme « pwofitasyon » procède de la même démarche; les mots n'étant pas innocents, reprendre ceux de ses contradicteurs les conforte et les renforce, ce qui n'est pas avisé lors d'une négociation.

Il faut noter que, cette expression péjorative, empruntée au langage des écoliers, évoque surtout l'attitude du «grand » qui s'attaque à un enfant plus faible; dans le but de lui imposer abusivement sa volonté ou d'en tirer un avantage indu (la morale du préau imposait au contraire de n'affronter qu'un élève aussi fort que soi).

A titre d'illustrations, les quelques 380.000 guadeloupéens désarmés (entrepreneurs, ouvriers, employés, retraités, enfants....) qui ne participaient pas aux manifestations du LKP, mais qui subissaient les exactions quotidiennes de ses nervis, armés et brutaux (entreprises fermées de force, privation de soins, d'essence, de moyens de transports, d'écoles, de commerces, de média libres, des libertés de circuler et de travailler...) en l'absence de toute réaction sérieuse des pouvoirs publics, étaient victimes d'une authentique « pwofitasyon »; de même, les chefs d'entreprise subissent aujourd'hui une « pwofitasyon », dès lors qu'on les contraint par la violence, les menaces et la paralysie de leur entreprises à signer un « accord » (avalisé par le Préfet ?) présentant dans son préambule la situation du département français de la Guadeloupe comme la pérennisation « d'une économie de plantation » fondée sur les « rentes de situation » et l' « l'injustice ».

En fait, l'expression a été utilisée par le LKP pour stigmatiser les dérapages attribués à des puissants, au détriment des faibles (il s'agit des patrons pour les bas salaires, de l'état ou des collectivités, pour les prestations sociales jugées insuffisantes, des importateurs et grandes surfaces pour les prix, des organismes publics ou parapublics pour les divers tarifs fixés ou régis par l'autorité publique...).

Plus que de la « Pwofitasyon », ces dérapages sont le fait d'un double phénomène qu'il convenait d'analyser en temps utile et de corriger, sans attendre que le LKP mobilise les foules sur ce thème:

- La constitution de monopoles de fait ou de droit, qui libèrent l'opérateur public ou privé de la pression à la baisse générée par la concurrence.

- L'absence de politique visant les causes de la cherté de la vie et les moyens d’y remédier, situation qui est, pour une grande part, de la responsabilité de l’Etat et des collectivités locales, et qui leur permet de collecter d’importantes « contributions », réputées indolores (jusqu'à un certain point...).

En effet, avant de s'en prendre au patronat Guadeloupéen, le représentant de l'état aurait peut-être gagné à balayer devant sa porte; pour mémoire :

- la collaboration SARA-Préfecture quant à la fixation du prix de l'essence (la Guadeloupe a connu en une seule génération, le prix de l'essence le plus bas de France, et le prix le plus élevé, sans avoir jamais reçu la moindre justification à ce sujet).

- La fixation arbitraire d’un prélèvement de 2% des taxes portuaires, par l'administration des douanes, au titre de sa rémunération pour la perception des dites taxes, alors même que ce prélèvement n'est que de 0,5% dans les autres ports autonomes de l'hexagone (informer la population sur la destination exacte de ces 2% ne serait pas inutile...).

- L’Octroi-de-mer, droit de douane, perçu au profit des collectivités locales, frappant définitivement les marchandises à l’entrée du territoire et portant sur leur prix d’achat, plus le coût du transport (Il s’agit d’une taxe inflationniste, dont les socio- professionnels avertis réclament en vain la modification depuis des décennies, afin que son mode de perception soit logiquement calqué sur celui de la TVA).

La connaissance précise de la situation et du véritable interlocuteur « syndical » (cf. ci-dessus) vous aurait permis d'éviter ces erreurs, dont les effets mécaniques sont:

- d'accorder une victoire morale au LKP et de donner une stature médiatique et politique inédite à ses dirigeants. (ceux d'entre eux qui ont affronté les élections n'ont jamais dépassé un pourcentage confidentiel des suffrages).

- d'alimenter la poursuite en toute hypothèse des menées subversives locales.

- de garantir la contagion automatique aux autres DOM. La « boite de Pandore » ayant été ouverte.

- d'annoncer les voies et moyens d'une généralisation des troubles à la métropole (MM Besancenot et Bové ne s'y sont pas trompés).

Continuer, au XXIème siècle, dans un pays démocratique, à laisser croire à la population que des relations de droit valides et durables entre les hommes peuvent être instaurées par la violence et la contrainte est un message particulièrement négatif.

A contrario, le maintien de l'ordre républicain ne comporte aucune création de droit; il n'a qu'une fonction conservatoire, visant à privilégier le recours aux seuls moyens démocratiques de changer les choses, à savoir, le consensus négocié et l'appel aux urnes; il s'exerce avec fermeté dans les démocraties modernes, ce qui n'exclut ni le sang-froid, ni le souci des vies humaines, ni le respect de la dignité des personnes.

Se soustraire à l'évidente obligation de rétablir l'ordre républicain et les libertés fondamentales, au prétexte des 87(!!) morts de 1967, constitue une troisième erreur, aux conséquences dramatiques pour l'économie, l'emploi, et le moral de tous ceux qui travaillent ou créent des activités aux Antilles.

Comment lancer enfin un tel chiffre, lourd de significations historique et politique, sans avoir l'obligation morale, voire juridique, de l'étayer de façon décisive par des preuves irréfutables ? tant il est vrai qu’un peuple, dont la mémoire est falsifiée doit craindre pour son avenir.

Le gouvernement serait donc bien avisé de lever définitivement toute ambiguïté sur les chiffres officiels concernant cette affaire, preuves et archives à l’appui.

Concernant les événements de mai 1967 en Guadeloupe, la « vulgate » indépendantiste parle du « massacre » de plus de 100 personnes, froidement décidé par le « pouvoir colonialiste », à l'aide de « forces de répression racistes et violentes », dans le but de « décapiter le mouvement nationaliste » et de mater le peuple; pour parer à l'impossibilité d'avancer une liste sérieuse de ces morts clandestins, on argue sans vergogne de la dissimulation des archives, de l'existence de « charniers » secrets, ou « d'enterrements à la sauvette par les familles terrorisées ».

Il y a quelques années, le ministre LEMOINE, reprenait cette antienne, en parlant de 87 morts, sans juger utile de préciser ses sources (il s'agissait alors de se concilier le mouvement nationaliste) ni de produire un quelconque recensement des personnes ou familles concernées; ces précision auraient pourtant été utiles, puisque les propos du ministre s'inscrivaient en faux contre l'unique rapport officiel qui n'évoquait « que » 7 morts.

Il se trouve qu'il existe un état civil en Guadeloupe, on n'y disparaît pas à la sauvette; de surcroît, dans ce petit pays, il n'est pas de famille si discrètes, ni de lieux si retirés, qui permettent de dissimuler longtemps les cadavres de 87 personnes décédées de mort violente.

Il n’y a pas eu de « massacre » en Guadeloupe en 1967 ; mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde.

Il y a certainement eu trop de morts et de blessés lors des troubles de 1967 ; les origines du drame sont parfaitement connues :

- un incident stupide entre un marchand de chaussures « blanc » et un cordonnier « noir » officiant sur le parvis du magasin en cause.

- Une grève des ouvriers « noirs » du bâtiment, réclamant une augmentation à un entrepreneur « blanc ».

- Un mouvement « nationaliste », à l’affut de tout incident de ce type, dans l’optique d’exacerber, à son profit les moindres colères et frustrations des milieux populaires, et n’hésitant pas, comme on le constate encore aujourd’hui, à jouer sans nuance des antagonismes ethniques, voire à placer des armes mortelles dans la main de redoutables marginaux qu’on a chauffés à blanc.

- Une autorité préfectorale et ses forces de maintien de l’ordre, amenés à intervenir, au vu des premiers blessés, dans l’affolement et l’impréparation totale (méconnaissance des « codes » d’expression des populations locales, chez qui le verbe haut ne débouche pas nécessairement sur la violence ou la mort ; non-disposition de matériel adapté à l’affrontement de manifestants civils…).

C’est dans ce contexte d’excitation, d’inconséquences, et d’incohérences partagées que des personnes ont été blessées ou tuées, devenant de nouveaux « martyrs » du peuple Guadeloupéen, dans la terminologie nationaliste.

C’est ainsi qu’avant longtemps, on nous dira que le malheureux syndicaliste Binot, assassiné par un malfaisant armé par ses propres amis, au motif « qu'on l'a pris pour un policier en civil », sera présenté comme une victime des « forces colonialistes françaises » ou du « patronat Béké ».

Certain de l'intérêt que vous accorderez à la lecture de ces observations, je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de ma particulière considération.

Amédée ADELAIDE
Citoyen français d’origine guadeloupéenne
Résident en Guadeloupe

Ancien Président, de la CCI de Pointe-à-Pitre
du Port Autonome de la Guadeloupe
de la Société Immobilière de la Guadeloupe

PS : subsidiairement, les annonces itératives émanant de parlementaire de votre majorité remettant en cause les 40% de sur-salaires accordés par les textes aux fonctionnaires outre-mer, ont jeté bon nombre de bénéficiaires dans les rangs des mécontents, abondant les troupes du LKP dans la rue.

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