La face cachée des états généraux ultramarins par Anna-Marie Le Pourhiet, professeur de droit,

La face cachée des états généraux ultramarins
Anna-Marie Le Pourhiet, professeur de droit, dénonce le règne de la démagogie qui s'instaure avec les états généraux ultramarins à venir. Où l'on apprend que les beke n'ont pas le monopole de la profitation.

« Organiser des états généraux pour remettre à plat le modèle ultramarin », tel est donc le nouveau mot d’ordre gouvernemental, qui présuppose que « modèle » il y ait, ce dont il est permis de douter compte tenu du bricolage qui en tient lieu depuis si longtemps.
Que va-t-on encore observer, dire et prescrire dans les ateliers de cette grand-messe tropicale ? Nous le savons à vrai dire déjà car les bibliothèques de l’Assemblée nationale, du Sénat, de la rue Oudinot et de Bercy croulent sous le poids des innombrables rapports remis depuis des décennies sur l’Outre-mer en général ou chaque collectivité en particulier. Tous ont parfaitement diagnostiqué les problèmes en présence. Localement et à Paris on ne compte plus les incessants colloques où se produisent de doctes experts qui viennent exposer savamment les pathologies du grand malade ultramarin.

Exonération-subvention-dérogation
Chaque débat budgétaire permet aussi au chœur de pleureuses des parlementaires d’Outre-mer de décrire la situation économique et sociale désastreuse de leur circonscription à laquelle les gouvernements successifs répondent par des lois (d’orientation, de programmation ou de développement) qui ne contiennent jamais rien d’autre que l’éternelle trilogie « exonération - subvention - dérogation », c'est-à-dire des discriminations positives territoriales jusqu’à l’écoeurement, au point de distribuer maintenant des billets d’avion gratuits aux frais du contribuable !

Ces temps-ci nous avons encore vu se succéder les bavards incontinents qui déversent à chaque occasion leur pédagogie stérile. Tantôt ce sont des politiciens incapables de proposer autre chose que des « évolutions institutionnelles » dont on connaît la parfaite inutilité pour sortir de l’assistanat économique et social. Tantôt ce sont les habituels plumitifs qui nous abreuvent de leur jargon pédant et incompréhensible. Ils nous expliquent ainsi refuser de « s’enfermer dans une verticalité royale pour le moins involutive », et proposent de prendre en compte « une réalité omnidimensionnelle, laquelle devrait d’abord nous inviter à fixer l’impensable », puis d’« aller en relations partenariales dans l’appétit d’un imaginaire libre », avant que « d’aborder aux rives salubres du poétique » (Patrick Chamoiseau, Le Monde, 14 mars 2009). Voilà qui fera assurément baisser les prix et le chômage !

Les Beke n'ont pas le monopole de la profitation
Quant au secrétaire d’Etat à l’Outre-mer il pense avoir soudain trouvé la formule magique dans « le tourisme, l’agro-nutrition et les énergies renouvelables » ainsi que dans la « valorisation des universités ultramarines », mais l’on trouvait déjà toutes ces bonnes idées dans les discours tropicaux de Jacques Chirac qui n’ont cependant jamais servi à rien.
Dénoncer la « profitation » de certains serait crédible si celle-ci n’était pas la valeur la mieux partagée des sociétés d’outre-mer où chacun, du plus humble RMIste au Béké, en passant par les fonctionnaires, les syndicalistes et les élus locaux, fonctionne au passe-droit et au clientélisme. L’Etat de droit comme les principes républicains sont mal assimilés et l’Etat tout court n’accomplit pas ses missions régaliennes de contrôle du respect des lois de crainte de se faire accuser de mener une « politique d’oppression colonialiste ». On a ainsi pu lire des rapports préfectoraux reconnaissant avoir négligé le contrôle des actes des collectivités territoriales au prétexte des « troubles à l’ordre public » que pourrait déclencher la sanction des illégalités.

Les chiffres du chômage faussés par le RMI
Que dire de l’incurie de la gestion publique locale en matière de transports en commun, d’urbanisme, d’environnement, de perception des impôts locaux, d’assainissement, ou d’entretien des routes et trottoirs ? Fort-de-France et Pointe-à-Pitre sont sans doute les deux capitales régionales les plus insalubres de France. Où est donc passé l’inventaire tant attendu de la gestion d’Aimé Césaire ? Que dire aussi du cumul fréquent du RMI et d’un travail clandestin qui fausse les chiffres du chômage et contre lequel les services de contrôle ne luttent pas franchement ?
L’Etat-providence est sans doute omniprésent mais l’Etat régalien a peur de son ombre et on a pu le constater encore dans l’attitude timorée d’Yves Jégo. La routine en réalité. Que des étudiants incendient, en 1996, un véhicule à Cayenne et voilà aussitôt deux ministres qui montent dans le premier avion pour démanteler stupidement l’académie des Antilles-Guyane.

La question n’est pas de savoir si le passé esclavagiste cicatrise ou non, elle est qu’on ne veut surtout pas le solder car c’est un moyen de pression et de chantage quotidiens d’une efficacité formidable. Il justifie absolument tout y compris l’infantilisme syndical, les grèves à répétition et les menaces et agressions qui les accompagnent.
Comment faire taire la critique d’un professeur métropolitain contre une mauvaise formation qui nuit aux étudiants, sinon en lui lançant, en plein conseil scientifique de l’Université « C’est le retour du pouvoir blanc ! » ? Inutile de prétendre « valoriser » l’Université des Antilles et de la Guyane alors qu’elle est à la queue du classement français pour cause de recrutement endogame des enseignants-chercheurs. Que l’on fasse donc un audit de l’enseignement du droit en Guyane et l’on constatera qu’il n’y pas que les Békés qui éliminent la concurrence. Quand la « préférence autochtone » devient la règle dans un territoire, la médiocratie s’installe au préjudice dramatique des générations futures. Ajoutons y la sur-rémunération des fonctionnaires avec son injustice criante et ses effets inflationnistes bien connus et la faillite est assurée.

L’Outre-mer français marche sur la tête et vit au dessus de ses moyens. Si les états généraux prévus ne servent qu’à entendre ressasser les sempiternels constats et que l’Etat recule de nouveau devant les mesures drastiques à proposer gageons qu’on aura encore palabré pour rien et qu’il ne restera plus aux contribuables qu’à payer la facture. Comme d’habitude.

Dimanche 05 Avril 2009 - 00:37
Anne-Marie Le Pourhiet
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